SÉLECTION SPÉCIALE POÉSIE
En ce Printemps des poètes (du 13 au 29 mars), nous vous proposons une sélection de recueils de poésie contemporaine ou plus classique. Et puisque l’édition 2021 est placée sous le signe du Désir, osons supposer que la lecture des ces textes vous apporteront Désir d’ailleurs, ou désir de vie maintenant…
Simon Johannin, Nous sommes maintenant nos êtres chers, Allia, 202091 p., 9 €
J’ai oublié les blagues, aucun des rires.
En moi vrillent mille voix et chantent les désespoirs.
Tous ces cris me ramènent vers le sol.
Son âme est faite de neige, pure et joyeuse,
Délicieusement glacée, où les trous se creusent
A chaque pas.
Où l’enfance jouit du plaisir d’être en vie. J’ai peur
Parfois, que tout ça soit perdu.
Auteur du brillant L’Été des charognes et de l’étincelant et désespéré Nino dans la nuit avec Capucine Johannin, Simon Johannin renoue dans ses poèmes avec l’univers de ses romans. Alors que les vers courent librement, souvent délestés de leur ponctuation, des émotions intenses traversent la nuit comme des étoiles filantes. Devant le vertige du quotidien, les belles âmes qui peuplent ces poèmes tâchent de ne pas tomber dans les écueils du ressentiment, et s’acharnent à trouver du sens et du plaisir là-dedans. Le désir de vivre finit par l’emporter sur la résignation.
José-Flore Tappy, Hangars, Zoé, 2019, 99 p., 8.50 €. Avant-propos de Philippe Jaccottet
Foule en liesse
Hautes herbes transparentes
Qui s’écartent et se redressent
C’est la soif qui monte
Plurielle aérienne
Dans ce texte lumineux sur le désir et la peur d’aimer, sur le trouble et l’exploration de territoires obscurs, la pudeur le dispute à la puissance d’évocation. José-Flore Tappy donne matière à l’intériorité. Elle trouve le mot incisif pour dire la subtilité des émotions, la violence des sentiments. Plutôt que de réduire la complexité des choses, elle l’éclaire.
José-Flore Tappy vit à Lausanne où elle est née. Elle a publié plusieurs recueils poétiques dont Terre battue (Empreintes, 1995), Lunaires (La Dogana, 2001) etTrás-os-Montes (La Dogana, 2018, prix suisse de littérature 2019), ainsi que des traductions de poètes latino-américains.
« Les poèmes de José-Flore Tappy créent des paysages, ruines et petites usines désaffectées à la tombée du jour. D’emblée, plus d’abris où se protéger, il faut errer sur les routes, sans un langage sûr dans lequel habiter; démuni, mais avec un espoir rivé au corps. »
Le Temps, 8 novembre 2019
Philippe Jaccottet, La Clarté Notre-Dame, Gallimard, 2021, 48 p., 10 €
Second pilier de son œuvre, les carnets sont pour Philippe Jaccottet une alternative à la poésie dans son observation et ses réflexions sur le monde. Cet ouvrage réunit les notes de l’auteur rédigées entre 2012 et 2020. Ses réflexions d’une grande délicatesse touchent à la fugacité de la vie, le bonheur simple d’en bénéficier encore, la douleur présumée de la fin, les lueurs d’espoir qui la traversent.
Ce carnet se compose en deux parties On retrouve le promeneur attentif à l’émerveillement et à la vanité : nous évoluons avec Philippe Jaccottet en pleine nature vaudoise où il saisit la lumière à travers l’ombre, le tintement d’une cloche à travers le silence.
Il laisse une grande part aux paysages, mais aussi au silence qui entoure la Clarté Notre Dame, monastère des Soeurs dominicaines de Salernes.
La seconde partie laisse place à l’introspection plus importante de Philippe Jaccottet, un retour critique sur son œuvre et les lectures dont il se nourrit, comme Hölderlin.
Kathleen Raine, La Présence, traduit de l’anglais par Philippe Giraudon, Éditions Verdier, 2003, 14.20 €. Édition bilingue.
Des mouches –
Mais ce que je vois
En éclairs sous les feuilles
Alors que le soleil radieux du matin emplit le sycomore
Est un vol
De minuscules météores, rayons
En une transmutation vivante de lumière.
Paru en Angleterre en 1987, Kathleen Raine dresse ici le bilan d’une vie, (…) parvenue au seuil du grand âge. Sa poésie refuse tout hermétisme et, plus que jamais, se veut quête de sagesse, méditation sur la « Présence » qui illumine, pour qui sait y être attentif, les instants les plus quotidiens.
Fidèle à l’héritage spirituel de William Blake et, plus près de nous, de William Butler Yeats à l’étude duquel elle a consacré une grande partie de ses travaux critiques, Kathleen Raine a bâti son œuvre sur la conviction que l’Imagination est la plus sûre garante de la dignité de l’homme, et que la Vision seule justifie l’entreprise artistique.(…)
Jean-Yves Masson
https://editions-verdier.fr/2014/01/08/la-quinzaine-litteraire-1er-juin-2003-par-christine-jordis/
Lara Dopff, Guilhem Fabre, Yves Ouallet, Petite Anthologie poétique, traduit de l’anglais par Delia Morris, Phloème, 2019, 119 p., 20 €. Édition bilingue
instinctive, tendre, descendre les sentiers,
effleurer la ligne des crêtes,
le murmure du vent, langagier d’enfance,
aisance des fugues aux êtres imprégnés de ces terres.
être né en ces terres,
les forêts profondes.
Lara Dopff.
Lara Dopff est née en 1989. Diplômée en Arts Dramatiques et en Création Littéraire, elle est poète, metteur en scène et éditrice. Elle intervient dans les Universités et anime des masterclass et ateliers d’écriture de création littéraire depuis 10 ans.
Elle a publié 8 recueils poétiques, tous aux éditions Phloème, l’arbre de nerfs(2015), l’arbre de nerfs – Naxos, Avoir un Havre(2016), Tremble Harmonique(2018), De Montagne et d’eaux (2019), Le rite et la fureur(2020), dont 2 en collaboration, Les traits de l’extinction (2017) avec Claire Gohard et L’Inde et son double (2020) avec Yves Ouallet. Ses poèmes ont été traduits en espagnol et en anglais.
Guilhem Fabre a notamment publié L’empire de l’invisible, un tarot poétique illustré par Marq Tardy (2009), et Calculs de la poussière, à l’Atelier du Grand Tétras, (2016). Sinologue, il a traduit les poèmes de Liu Hongbin (Un jour dans les jours, Ed. Albertine 2008), de Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix 2010 : Les élégies du 4 Juin, Gallimard/Bleu de Chine (2013), et composé une anthologie des poèmes connus par cœur en Chine, Instants Éternels, Ed La Différence, (2014).
Aux éditions Phloème sont parus Le Dit de la Grande Peur (2016) et Entre Chien et Loup (2019) recueils de poèmes et d’instants singuliers entre Chine, Inde, Indonésie et Provence.
Maître de Conférences en Littérature comparée et en Littérature française des XXe –XXIe siècles à l’Université du Havre, Yves Oualett anime également un atelier d’écriture à l’École d’Art de Rouen et du Havre. Il s’intéresse depuis toujours aux rapports que l’espace littéraire entretient avec l’origine (Raymond Queneau, le mystère des origines, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2005), la philosophie, la musique, la peinture (Autoportrait et altérité, avec Sandrine Lascaux, PURH, 2014). Dernières conjectures : l’identité poétique, le corps poétique, le désoubli, la pensée errante.
Paul Pugnaud, Poèmes choisis, Éditions Rougerie, 2015, 60 p., 10.25 €
Précédé de Paul Pugnaud, poète de l’inexprimable par André Vinas, suivi de Par-delà le cercle des arbres par René Rougerie
Le passage du temps
A distancé les pierres
Les ornières creusées
Ne sont plus parallèles
L’ombre qui les poursuit
S’efface et plonge
Dans les profondeurs de la terre
Un souvenir fleurit
Parmi les coraux et les algues
Les arbres abattus se soulèvent et suivent
Les soubresauts de la montagne
Paul Pugnaud (1912-1995) est né à Banyuls. Il vit à Paris et fréquente les surréalistes puis s’installe avec sa femme à Belle Isle près de Lézignan-Corbières, où il sera poète et vigneron.
Il envoie à René Rougerie son premier manuscrit Minéral en 1968 et confiera à l’éditeur ses douze recueils suivants. Homme, attaché à la mer et à la terre, a contrario de sa vie concrète, il tente d’approcher l’indicible par une poésie dense et abstraite.
https://www.recoursaupoeme.fr/les-poemes-choisis-de-paul-pugnaud/
Cesare Pavese, Travailler use, traduit de l’italien, annoté et présenté par Léo Texier, Rivages, 2021, 158 p., 8.50€. Édition bilingue. Première édition en italien en 1936, traduit en français sous le titre Travailler fatigue, Gallimard, 1979.
Ce sont les bêtes qui sentent le temps, et le garçon
l’a senti dès l’aube. Et il y a des chiens
qui finissent par pourrir dans un fossé : la terre
prend tout. Qui sait si le garçon finira
étendu dans un fossé, affamé ? Il s’st enfui à l’aube
sans faire de discours, en lançant quatre jurons,
le nez en l’air.
Tout le monde y pense
en attendant le travail, comme un troupeau paresseux.
L’œuvre poétique de Pavese est un objet tout à fait singulier. Elle est à la fois moderne et antimoderne, pastorale et citadine, froide et lyrique.
Sans être assignable à un quelconque mouvement littéraire majeur, elle se situe à la croisée de tous : marquée aussi bien par la nostalgie du mythe, se faisant païenne par endroits, que par la tentative d’élaborer un style opposé au pathos de l’intériorité, qui tend à trouver sa forme dans un objectivisme sobre et faussement simple.
Ce recueil de poèmes, choisis par Carlo Ossola, constitue une porte d’entrée idéale à l’œuvre de Cesare Pavese.
« Travailler fatigue était un des livres auxquels il (Cesare Pavese) tenait le plus : à juste titre, car les beautés altières qu’on y découvre à chaque page, le stoïcisme viril qui l’imprègne de bout en bout, la manière si pleine de représenter le vide, l’art si intense des silences et des pauses, assurent à ce recueil une place unique dans la poésie italienne et européenne, à mi-chemin entre l’hermétisme des uns et le populisme des autres : œuvre suspendue entre le réel et l’irréel, rêve éveillé, mélange de feu et de glace, exemple inimité de stupeur extatique et de hiératisme passionné.»
Dominique Fernandez
Haleh Zahedi (ill.), Jean de Breyne (texte), L’attention, L’incertitude, La part allouée suivi de Les Formes de la lumière, Les Lieux dits, 2020, 18 €
Quelques fois nuée blanche
En affolement
En face du jais
D’une mémoire
Comment dire ?
Haleh Zahedi est né en 1982 à Téhéran où elle obtenu son diplôme de graphisme. Docteure en Arts plastiques et chargée d’enseignement en Arts visuels à l’Université de Strasbourg, elle expose ses dessins en France, en Suisse et en Allemagne.
Jean de Breyne, écrivain, poète, est né en 1943. Fondateur de la Galerie Librairie l’Ollave à Lyon en 1974, il est membre du comité de rédaction de la revue d’art l’Ollave, de la collection d’essais Préoccupations, et d’un Domaine croate/Poésie créé en 2012.
Depuis 2005, il produit et dirige les interventions-lectures des auteurs poètes dans les programmes du Vélo Théâtre, à Apt, Les Cris poétiques, des poètes sur la scène.
Il a été publié à ce jour vingt-quatre ouvrages de sa poésie, beaucoup avec l’intervention d’artistes plasticiens. Voyageur, ses lieux familiers sont en Croatie, Pologne, Belgique, France, Londres et Barcelone.
« Un parcours initiatique vers ces régions de la nuit restitué avec sa sensibilité de photographe –il pose les couleurs, les lignes, les formes au fur et à mesure que ses phrases enjambent le vers, on est dans ce qui se donne là et se déplace – étranger et pourtant si proche. »
Claude Held, 15 mai 2012 (Préface de Un janvier, Propos2éditions, 2014)
Katerina Apostolopoulou, J’ai vu Sisyphe heureux, Éditions Bruno Doucey, 2020, 117 p., 15 €. Édition bilingue grec/français
Il a légué à ses enfants
Son rire
Sa myopie
La joie du verbe et de l’Histoire
Les battements irréguliers de son cœur
Et le sens de la justice
Une famille de pêcheurs dont le père disparaît en mer, un couple de gens modestes que la mort vient séparer, un homme seul qui abandonne maison, papiers d’identité et biens matériels pour vivre en vagabond sous les étoiles…Trois poèmes narratifs.
Trois destins aux prises avec la vie. Trois histoires simples pour dire la fierté du peuple grec. Ce ne sont pas les héros des batailles homériques que chante Katerina Apostolopoulou dans ce premier recueil écrit en deux langues, le grec et le français, mais le courage des êtres qui placent l’hospitalité et la liberté au-dessus de tout, qui se battent avec les armes de l’amour et de la dignité, qui ont peu mais donnent tout.
À l’heure de la crise économique et du concept de décroissance, une voix venue de Grèce nous invite à voir Sisyphe heureux.