Jean-Louis Comolli

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Le cinéaste Jean-Louis Comolli, qui a accompagné pendant de très nombreuses années l’aventure de la Maison du Banquet et des générations, vient de mourir à Paris, le 19 mai dernier. Nous lui rendrons hommage pendant toute la matinée du dimanche 7 août prochain, au début de ce Banquet du Livre d’été qu’il a tellement aimé, et marqué de sa présence. Luce Rocamora revient ici, pour nous, sur ce précieux compagnon.

Jean-Louis Comolli, un fidèle compagnon de route du Banquet, un ami, vient de nous quitter. Il nous a laissé comme viatique une œuvre foisonnante, de précieuses leçons de cinéma et surtout de vie. Rendre compte de la densité et de la richesse des ateliers cinéma que Jean-Louis a conçus et animés pendant plus de dix ans est impossible en quelques lignes.

J’aimerais cependant évoquer le moment inoubliable où Jean-Louis Comolli, portant sa réflexion sur les images tournées lors de la libération du camp de Bergen Belsen, analysait le dispositif cinématographique qui a permis de montrer l’irreprésentable.

Lors d’un atelier tout aussi intense, réalisé en collaboration avec Sylvie Lindeperg, ils analysaient les films de la propagande nazie sur les camps de Terezin et de Westerbork. Il est ainsi des moments qui décillent durablement

Jean-Louis Comolli nous a permis de découvrir, de voir et de revoir un cinéma exigeant. Il faisait confiance à l’intelligence du spectateur qu’il pensait capable de le suivre sur des chemins ardus parfois jusqu’aux limites de l’extrême (atelier Daesh, le cinéma et la mort).

La rigueur, l’austérité de son approche théorique, sa pensée toujours politique sans complaisance étaient portées par une personnalité généreuse, solaire, gourmande de la vie. C’est cette alchimie qui faisait que le savoir pouvait se transmettre.

Revisiter, pas à pas, avec lui Pasolini, Godard, Rithy Panh, Robert Kramer, Pedro Costa, découvrir Carmelo Bene et tant d’autres classiques de l’histoire du cinéma, cela a été une traversée qui nourrit encore mon imaginaire. Si, par un mauvais tour de ma mémoire, je venais à oublier tous ces cinéastes remarquables, il me resterait ce que le travail documentaire et l’enseignement de Jean-Louis Comolli ont montré : un respect infini et une dignité accordés à la personne filmée. Il a écrit : « Ce qui circule entre les images et les regards est affaire de morale »

C’est avec respect qu’il donnait la parole et écoutait une employée de bureau (La vraie vie dans les bureaux) ou le célèbre historien Carlo Ginzburg (L’affaire Sofri) ou bien encore des hommes politiques marseillais (Marseille contre Marseille). Ne pas provoquer le rire aux dépens de la personne filmée, ce principe, il l’appliquait même lorsqu’il s’agissait « de filmer l’ennemi ».

La simplicité et la générosité de Jean-Louis Comolli ont fait qu’une amitié a pu naître. A notre table, Jean-Louis fut un convive merveilleux, il savourait les plats simples d’une cuisine méditerranéenne qui faisait lien avec nos origines communes. Son rire magnifique résonnera longtemps en moi, en nous.

Luce Rocamora

Sous le nom de plume Luce Rostoll, elle est l’auteure de SNP, Sans Nom Patronymique, éd. Ar’Art Atelier, 2019 (roman).
 L’Algérie à l’ombre de Maria, éd. Loubatières, 2008 (récit).

Photo : © Idriss Bigou-Gilles

 

 

Voici les dernières lignes d’un des derniers livres de Jean-Louis Comolli, Une certaine tendance du cinéma documentaire, publié en 2021 chez Verdier.

 

« Et qu’est-ce qu’un cinéma de parole, sinon celui qui parle à un spectateur ou une spectatrice, en se croyant ou se pensant (imprudemment peut-être) digne de leur parler, de leur dire tout haut ce qu’ils sentent, que derrière les choses qui se disent, il y a celles qui ne se disent pas et que jusque dans une conversation filmée, ou tout se donne comme énoncé, il y a ce qui n’est pas dit, qui joue, les couleurs, le vent, les corps, les accents ? La parole filmée n’est pas extraite des corps et des lieux, elle les habite, elle les garde en elle. C’est comme un secret qu’on partage -en doutant de son importance, et finalement c’est peu de choses, mais toi, mais moi, nous en faisons partie. La parole n’est pas ce qui se passe au loin ; elle veut toucher ; la main des mots caresse les ombres. » 

 

 

Pour voir ses autres ouvrages, et en particulier le tout dernier, Jouer le jeu, publié le 19 mai dernier, jour de sa mort, voici la page des éditions Verdier qui lui est consacrée : https://editions-verdier.fr/auteur/jean-louis-comolli/

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