LA SÉLECTION DE FÉVRIER 2021
LITTÉRATURE FRANÇAISE
Joy Sorman, A la folie, Flammarion, février 2021, 288 p., 19 €
« Ce jour-là j’ai compris ce qui me troublait. Peut-être moins le spectacle de la douleur, de la déraison, du dénuement, que cette lutte qui ne s’éteint jamais, au bout d’un an comme de vingt, en dépit des traitements qui érodent la volonté et du sens de la défaite, ça ne meurt jamais, c’est la vie qui insiste, dont on ne vient jamais à bout malgré la chambre d’isolement et les injections à haute dose. Tous refusent, contestent, récusent, aucune folie ne les éloigne définitivement de cet élan-là. »
Durant toute une année, Joy Sorman s’est rendue au pavillon 4B d’un hôpital psychiatrique et y a recueilli les paroles de ceux que l’on dit fous et de leurs soignants. De ces hommes et de ces femmes aux existences abîmées, l’auteure a fait un livre dont Franck, Maria, Catherine, Youcef, Barnabé et Robert sont les inoubliables personnages. À la folie est le roman de leur vie enfermée.
« Pourquoi la société, qui autrefois chérissait « l’idiot du village », a-t-elle ainsi abandonné les fous ? C’est que le fou « connaît le vide au cœur de la vie »,il incarne la précarité et l’angoisse humaines ; il interroge la norme à laquelle les politiques managériales voudraient de plus en plus nous soumettre, reléguant à l’HP les nouvelles pathologies liées aux migrations, à la transidentité, au désespoir social, médicalisant « les questions existentielles les plus fondamentales, quand elles devraient être traitées économiquement, socialement, politiquement ». Joy Sorman donne là un texte important, essentiel, qui, par-delà sa dureté, laisse espérer à la folie que « si le cerveau se mate, l’esprit, lui, s’échappe toujours ». »
Le Monde des Livres, 11 février 2021
Florence Aubenas, L’inconnu de la Poste, Éditions de l’Olivier, février 2021, 240 p., 19 €
« La première fois que j’ai entendu parler de Thomassin, c’était par une directrice de casting avec qui il avait travaillé à ses débuts d’acteur. Elle m’avait montré quelques-unes des lettres qu’il lui avait envoyées de prison. Quand il a été libéré, je suis allée le voir. Routard immobile, Thomassin n’aime pas bouger hors de ses bases. Il faut se déplacer. Je lui ai précisé que je n’écrivais pas sa biographie, mais un livre sur l’assassinat d’une femme dans un village de montagne, affaire dans laquelle il était impliqué. Mon travail consistait à le rencontrer, lui comme tous ceux qui accepteraient de me voir. »
Le village, c’est Montréal-la-Cluse. La victime, c’est Catherine Burgod, tuée de vingt-huit coups de couteau dans le bureau de poste où elle travaillait. Ce livre est donc l’histoire d’un crime. Il a fallu sept ans à Florence Aubenas pour en reconstituer tous les épisodes – tous, sauf un. Le résultat est saisissant. Au-delà du fait divers et de l’enquête policière, L’Inconnu de la poste est le portrait d’une France que l’on aurait tort de dire ordinaire. Car si le hasard semble gouverner la vie des protagonistes de ce récit, Florence Aubenas offre à chacun d’entre eux la dignité d’un destin.
Florence Aubenas est grand reporter au journal Le Monde. Elle a notamment publié La Méprise : l’affaire d’Outreau (Seuil, 2005) et Le Quai de Ouistreham (L’Olivier, 2010), qui a connu un immense succès et redéfini la notion de journalisme d’immersion.
Beyrouk, Parias, Sabine Wespieser éditeur, février 2021, 184 p., 18 €
Tout ramène le père et le fils, dont les récits alternent dans cet envoûtant roman, au drame qui a fait éclater leur famille.
Le père est en prison. Dans une longue mélopée adressée à la femme qu’il est parvenu à épouser et qu’il aime encore aveuglément, il convoque les prémices enchantées de leur histoire et les souvenirs des jours heureux, mais également l’engrenage des mensonges et de la jalousie. Pour elle, le jeune étudiant issu d’une tribu nomade était prêt à tout : s’inventer un passé, rompre avec les siens, vendre son cheptel et, grâce à cet argent, lui offrir l’avenir chimérique dont elle rêvait. Maintenant que tout est perdu, il se remémore ce monde du désert qu’elle méprisait, la vie d’errance à laquelle il a renoncé, au rythme du soleil, des étoiles et des bêtes.
Leur fils, enfant des quartiers pauvres, n’a pas supporté le silence des dunes, l’école coranique, l’eau qu’il fallait aller puiser. Il s’est vite réfugié chez des amis de ses parents. Les batailles rangées entre bandes rivales, les soirs à regarder le foot à la télévision, les menus larcins, l’empêchent de trop penser à sa mère qu’il adorait. Parfois, il traîne aux alentours de la prison. Et aussi près de la maison de sa petite sœur, Malika, qui lui manque mais qu’on lui interdit de voir.
En écho à la voix puissante et désespérée de son père, celle naïve et bouleversante du garçon vient ancrer la tragédie intime qu’ils partagent dans un saisissant contraste entre croissance urbaine et habitudes ancestrales des Bédouins. Ce n’est pas la moindre qualité de Parias que d’inscrire dans l’universel ces destins si singuliers avec une telle force d’émotion.
Hélène Frappat, Le mont Fuji n’existe pas, Actes Sud, février 2021, 240 p., 20 €
C’est l’histoire d’une écrivaine qui transforme les personnes qu’elle rencontre en personnages. (…) Depuis ce poste de guet, elle devient témoin privilégié de l’excitation qui fait vibrer l’écrivain-espion, l’écrivain-vampire, et échafaude avec la narratrice les scénarios intimes de son désir de fiction. Le mont Fuji n’existe pas contient plusieurs romans possibles, dont l’auteur divulgue les rouages secrets. Dans l’ombre d’un monstre-minotaure chez qui tout est blanc sauf l’âme, sur les traces d’une “cliente mystère” qui dit la vérité puisqu’elle finit toujours par avouer qu’elle a menti, chez un professeur de philosophie qui s’enchante de posséder une toile de maître vierge… partout, aux quatre coins du monde, l’écrivain traque l’inspiration dans une chasse aux papillons aussi sauvage que poétique. Il y a les facéties du destin, la logique toute-puissante de l’improbable, l’incroyable et parfois chamanique aplomb du réel. Et il y a, limpide et malicieuse, la langue d’Hélène Frappat qui nous permet de l’observer soufflant sur les braises de la fiction potentielle et d’éprouver avec elle son exaltation face à la porosité extrême entre la littérature et la vie.
« Qu’y a-t-il dans la tête d’un écrivain ? Dans celle de la romancière et critique Hélène Frappat, beaucoup de films et de gens, réels ou imaginaires, souvent les deux à la fois. C’est ce qu’elle raconte : comment un roman qui devait mettre en scène une galerie de « personnages » est finalement devenu un recueil de micro-fictions peuplé de « personnes ». »
Livres Hebdo, 28 janvier 2021
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
Dag Solstad, T. Singer, traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, Éditions Noir sur Blanc, février 2021, 304 p., 19 €
À trente-quatre ans, Singer, auteur sans succès ni inspiration, obtient son diplôme de bibliothécaire. Il décide de quitter Oslo pour prendre un nouveau départ dans une ville de province où personne ne le connaît. Il y tombe amoureux d’une céramiste, Merete Sæthre. Mais après plusieurs années, leur mariage se délite. Un jour, alors qu’ils sont sur le point de divorcer, la vie de Singer bascule.
L’œuvre de Dag Solstad se dresse contre la bêtise et la médiocrité du monde moderne. Avec humour et clairvoyance, T. Singer ne se borne pas à mettre en relief les problématiques de notre temps : il met à nu la solitude de l’homme contemporain face à une époque où tout est devenu marchandisation. Avec une lucidité ironique, Dag Solstad demande : comment peut-on, comme Singer, passer ainsi complètement à côté de sa vie ?
Un roman brillant, à la fois drôle et déchirant.
« Tout ce qui se chuchotait était vrai : Solstad est un romancier qu’il est vital de connaître. »
Charles Finch, The New York Times
Imbolo Mbue, Puissions-nous vivre longtemps, Belfond, traduit de l’anglais (Cameroun) par Catherine Gibert, février 2021, 432 p., 23 €
Après l’immense succès de Voici venir les rêveurs, Imbolo Mbue revient avec une œuvre d’une force et d’une beauté inouïes. Dans la lignée des Damnés de la terre de Frantz Fanon, Puissions-nous vivre longtemps est un grand roman politique sur les dégâts du capitalisme à outrance, sur l’Afrique et sur les fantômes de la colonisation ; c’est aussi l’inoubliable portrait d’une femme puissante et lumineuse.
levez-vous enfants, mettez-vous en formation,
la folie a pris feu, poings levés
brûle, brûle, brûle ; que toutes les voix s’élèvent,
vivantes et fières – ou donnez-nous la mort
dix mille régimes, se repaissant de nos âmes, et pourtant
nous continuons de nous battre, jusqu’à quand ?
puissions-nous vivre longtemps pour voir ce matin resplendissant.
C’est l’histoire d’un petit village d’Afrique de l’Ouest en lutte contre la multinationale américaine qui pollue ses terres et tue ses enfants.
C’est l’histoire d’une génération d’anciens qui a cru en la promesse d’une prospérité venue d’Occident.
C’est l’histoire d’une jeunesse qui décide de se révolter, quitte à user de la violence et à prendre les armes.
C’est l’histoire de Thula, la belle et courageuse Thula, prête à tout pour sauver les siens au risque de tout sacrifier.
« Ce roman charme par l’intensité qui s’en dégage. Dans une geste biblique, il fait résonner l’histoire récente du continent africain. (…) Imbolo Mbue saisit avec brio les tours de passe-passe grâce auxquels les dirigeants rendent les victimes responsables de la misère qu’ils ont créée. (…) Avec la sagace et téméraire Thula, la « Femme de feu » qui encourage le peuple à se forger « une croyance en l’avenir parce qu’il n’y a pas d’autre façon de vivre », Imbolo Mbue crée une grande héroïne africaine. Et signe un délicat roman de la révolte et de la mémoire. »
Le Monde des Livres, 3 février 2021
ESSAI
Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau, Manifestes, La Découverte, février 2021, 168 p., 12 €
« Il n’y a de puissance que dans la Relation, et cette puissance est celle de tous.
Toute politique sera ainsi estimée à son intensité en Relation. Et il y a plus de chemins et d’horizons dans le tremblement et la fragilité que dans la toute-force. »
Cet ouvrage rassemble pour la première fois six textes : De loin…, Dean est passé. Il faut renaître. Aprézan !, Quand les murs tombent et L’Intraitable beauté du monde coécrits par Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant ; et avec Ernest Breleur, Gérard Delver, Serge Domi, Bertène Juminer, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar et Jean-Claude William, le Manifeste pour un projet global et le Manifeste pour les « produits » de haute nécessité.
POLARS
Peter Swanson, Huit crimes parfaits, traduit de l’anglais (États-Unis) par Christophe Cuq, Gallmeister, février 2021, 352 p., 23.40 €
Libraire spécialisé́ en roman policier, Malcolm Kershaw reçoit la visite surprise du FBI. L’agent Gwen Mulvey enquête sur deux affaires étranges : une série de meurtres qui rappelle un roman d’Agatha Christie, et un « accident » qui fait écho à un livre de James Cain. Elle espère donc que l’avis d’un expert du genre lui permettra d’interpréter correctement les (rares) indices à sa disposition. Et ce n’est pas tout : Malcolm, quinze ans plus tôt, a publié sur son blog une liste intitulée ”Huit crimes parfaits”, où figuraient ces deux intrigues. Serait-il possible qu’un tueur s’en inspire aujourd’hui ? Très vite, l’angoissante certitude s’impose : le tueur rôde déjà à proximité. Malcolm commence à le voir partout, et sent un véritable nœud coulant se resserrer autour de son cou.
Une intrigue irrésistible et une brillante variation autour du roman policier, avec en filigrane cette question éternelle : le crime parfait existe-t-il ?
« Un passionnant polar, d’une grande singularité. Huit crimes parfaits, jouant sur plusieurs registres, se révèle en effet à la fois comme un ingénieux « whodunit » teinté de nostalgie, comme un vibrant hommage à un roman policier classique, truffé de clins d’œil aux maîtres du genre. »
Le Figaro Magazine, 5 février 2021
LIVRES DE POCHE
Jean-Michel Espitallier, La première année, Inculte, février 2021, 192 p., 8.90 €
Tandis qu’au-dehors, à quelques centaines de mètres de chez lui, des attentats ensanglantent Paris, Jean-Michel Espitallier vit un autre drame, plus intime. Sa compagne, Marina, s’éteint, « assassinée » par le cancer. Ce livre est la chronique d’une disparition, qui enregistre – au sens musical du terme – la lente et calme approche de la mort, son surgissement, capté avec une rare acuité, puis la première année dans l’absence. Sans voyeurisme, mais avec parfois la crudité que suppose la grande intimité entre les corps, Jean-Michel Espitallier consigne, au fil des jours, les remarques, les pensées, les sentiments que la perte lui inspire.
Rappelant le Journal de deuil de Roland Barthes, mais aussi la précision des romans d’Annie Ernaux, ce récit poignant raconte le progressif effacement des traces matérielles qui évoquent l’existence de l’autre, faisant une place toujours plus vaste au souvenir, devenu seule expérience du présent. Il dessine ainsi, en creux, un émouvant portrait de celle qui fut, celle qui n’est plus, et compose une intense méditation sur le Temps. Habiter la vie en poète, c’est aussi puiser dans les ressources de la langue pour tenter de saisir l’incompréhensible et de surmonter l’insupportable.
Santiago H. Amigorena, Le Ghetto intérieur, Gallimard, février 2021, 192 p., 7.50 €
« Vicente n’avait pas voulu savoir. Il n’avait pas voulu imaginer. Mais, en 1945, peu à peu, malgré lui, comme tout le monde, il a commencé à savoir – et il n’a pas pu s’empêcher d’imaginer. »
Vicente Rosenberg est arrivé en Argentine en 1928. Il a rencontré Rosita, ils se sont aimés et ont eu trois enfants. Mais depuis quelque temps, les nouvelles d’Europe s’assombrissent. À mesure que lui parviennent les lettres de sa mère, restée à Varsovie, Vicente comprend qu’elle va mourir. De honte et de culpabilité, il se mure alors dans le silence.
Ce roman raconte l’histoire de ce silence – qui est devenu celui de son petit-fils, Santiago H. Amigorena.
« En faisant parler ce grand-père, Santiago Amigorena comprend certainement les sources de ce « silence qui [l]’étouffe »depuis qu’il est né. Mais les mots qu’il trace sur sa page, à l’instar de Georges Perec (1936-1982) posant « comme une évidence cette équivalence de la parole et de l’écriture »(Penser/Classer,Seuil, 1985), font bien plus que cela : ils le conjurent, pour ne plus transmettre un symptôme, mais une mémoire. »
Le Monde des Livres, 4 octobre 2019
Alvydas Slepikas, A l’ombre des loups, traduit du lituanien par Marija-Elena Baceviciute, J’ai Lu, février 2021, 288 p., 7.90 €
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, femmes et enfants allemands sont exposés à l’avancée de l’armée soviétique qui a pour mission de les exterminer jusqu’au dernier. Leur unique espoir est de gagner la Lituanie.
La forêt sombre et inquiétante devient alors l’un des seuls refuges de ceux que l’Histoire appellera les « enfants-loups ».
http://unesourisetdeslivres.com/a-lombre-des-loups-de-alvydas-slepika/
SCIENCE-FICTION – POCHE
Alain Damasio, Les Furtifs, Gallimard, février 2021, 944 p., 11.50 €
Ils sont là, parmi nous, jamais où tu regardes, à circuler dans les angles morts de la vision humaine. On les appelle les furtifs. Des fantômes ? Plutôt l’exact inverse : des êtres de chair et de sons, à la vitalité hors norme, qui métabolisent dans leur trajet pierres, déchets, animaux ou plantes pour alimenter leurs métamorphoses incessantes. Lorca Varèse, sociologue pour communes autogérées, et sa femme, Sahar, proferrante dans la rue pour les enfants que l’Éducation nationale, en faillite, a abandonnés, ont vu leur couple brisé par la disparition de leur fille unique de quatre ans, Tishka – volatilisée un matin, inexplicablement. Sahar ne parvient pas à faire son deuil alors que Lorca, convaincu que sa fille est partie avec les furtifs, intègre une unité clandestine de l’armée chargée de chasser ces animaux extraordinaires. Peu à peu, ils apprendront à apprivoiser leur puissance de fuite et à renouer, grâce à eux, avec ce vivant que nos sociétés excommunient.
Les furtifs nous plonge dans un futur proche où le libéralisme et la technologie n’ont jamais aussi bien maximisé nos servitudes volontaires — sous couvert de libération !
HISTOIRE
Julien Chuzeville, Léo Frankel, Communard sans frontières, Libertalia, février 2021, 280 p., 15 €
« La Commune a succombé. Elle a succombé sous la force brutale. Mais en étouffant sa voix, on n’a pas même cicatrisé les plaies sociales qu’elle avait mission de guérir, et tous les déshérités des deux sexes, tous ceux qui veulent le règne de la vérité, de la justice, attendent sa résurrection. »
Voici la première biographie en français de Léo Frankel (1844-1896), seul élu étranger de la Commune de Paris (1871). Militant de la Première Internationale, dont il intègre la direction lors de son exil à Londres, il est un proche de Karl Marx. Il est emprisonné sous le Second Empire. Pendant la Commune, il est élu à 27 ans responsable de la commission du Travail, puis condamné à mort par contumace par les versaillais.
Ouvrier d’orfèvrerie, puis correcteur, enfin journaliste, il travaille et milite dans de nombreux pays d’Europe (Hongrie, Autriche, Allemagne, France, Grande- Bretagne). Véritable internationaliste, son parcours militant et ses articles montrent l’aspiration à un socialisme révolutionnaire qui réaliserait l’autoémancipation ouvrière.
Ce livre s’appuie sur l’étude de nombreuses archives, de correspondances, de journaux révolutionnaires de plusieurs pays.
L’ouvrage comprend des articles, discours et lettres (la correspondance avec Marx) de Léo Frankel traduits pour la première fois en français.
PHILOSOPHIE
Simeon Wade, Foucault en Californie, traduit de l’anglais (États-Unis) par Gaëtan Thomas, Zones, février 2021, 144 p., 16 €
Un soir de mai 1975, le philosophe Michel Foucault contempla Vénus s’élever dans le ciel étoilé au-dessus du désert des Mojaves, dans la vallée de la Mort, en Californie. Quelques heures auparavant, il avait ingéré une dose de LSD offerte par les jeunes hôtes américains qui avaient organisé pour lui un road trip hors du commun. Ce fut une nuit d’hallucination et d’extase, qu’il décrira comme l’une des
« expériences les plus importantes de [sa] vie », ayant bouleversé son existence et son œuvre.
Cet épisode, rapporté par certains biographes, a longtemps été sujet à caution, considéré comme tenant davantage de la légende que de la réalité. C’était avant que ne soit redécouverte une archive étonnante : le récit détaillé de cette aventure, consigné à l’époque par Simeon Wade, le jeune universitaire californien qui avait entraîné l’auteur de l’Histoire de la folie dans cette expérience psychédélique.
Demeuré inédit pendant plus de quarante ans, ce document original, mêlant anecdotes et dialogues, peut aussi être lu comme un texte littéraire, la chronique d’une excursion où se noue une amitié et d’où resurgit l’esprit d’une période.
« Ou comment transformer le « principe de plaisir » en un « principe de réalité »,ainsi que Foucault le rêvait dans une lettre adressée à son nouvel ami Wade. »
Télérama, 16 février 2021
CORRESPONDANCES
Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, La Terre n’a pas de limites, la bêtise humaine est infinie, Le Passeur, février 2021, 256 p., 7.50 €
Pendant sept ans, deux génies de la littérature, Flaubert et Maupassant, ont partagé une profonde amitié. Dans leur correspondance transparaît la bienveillance de l’aîné envers son cadet pour lequel il fut un véritable guide.
Il existe une relation quasi filiale entre Flaubert et Maupassant. Le premier a 52 ans quand débute cette correspondance, le second 23 ans. Ils ne se quitteront plus jusqu’à la mort de Flaubert, en 1880. Ainsi, cette correspondance permet de suivre Flaubert dans les sept dernières années de sa vie et Maupassant dans ses sept premières années en littérature.
(…) Tous deux éprouvent du mépris pour la masse, l’esprit bourgeois, l’égalitarisme, le suffrage universel, la soutane ; et tous deux se délectent à la lecture des grands auteurs. La détestation de la médiocrité et l’amour de la littérature les réunissent.
BANDES DESSINÉES
Jose-Luis Munuera, Bartleby le Scribe, Dargaud, février 2021, 72 p., 15.99 €
New York City, quartier de Wall Street.
Un jeune homme est engagé dans une étude de notaire. Il s’appelle Bartleby. Son rôle consiste à copier des actes juridiques.
Les premiers temps, Bartleby se montre irréprochable. Consciencieux, efficace, infatigable, il abat un travail colossal, le jour comme la nuit, sans jamais se plaindre. Son énergie est contagieuse. Elle pousse ses collègues, pourtant volontiers frondeurs, à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Un jour, la belle machine se dérègle. Lorsque le patron de l’étude lui confie un travail, Bartleby refuse de s’exécuter. Poliment, mais fermement. I would prefer not, lui répond-il. Soit, en français : je préfèrerais ne pas.
Désormais, Bartleby cessera d’obéir aux ordres, en se murant dans ces quelques mots qu’il prononce comme un mantra. Je préfèrerais ne pas. Non seulement il cesse de travailler, mais il refuse de quitter les lieux…
José Luis Munuera s’empare de la nouvelle d’Herman Melville dans une adaptation magistrale et porte un regard original sur ce texte, réflexion stimulante sur l’obéissance et la résistance passive.
Lee Lai, Le Goût de la nectarine, Sarbacane, février 2021, 240 p., 25 €
Bron et Max sont liées par un amour puissant et dévorant. Leurs escapades sauvages avec Nessie, la nièce de Max, constituent des îlots de bonheur qu’elles attendent chaque semaine avec impatience. Entraînées par le pouvoir d’imagination de l’enfant, elles peuvent être elles-mêmes et oublier leur quotidien pris en étau entre des tensions familiales, le rejet et l’isolement. Mais les vieux démons de Bron resurgissent et leur relation s’étiole… Les deux jeunes femmes n’auront d’autres choix que de s’ouvrir à leurs sœurs respectives, dont elles se sont autrefois détournées.
Parviendront-elles à laisser de côté leur rancœur et à trouver le chemin de la réconciliation ?
JEUNESSE
Chiara Pastorini, Perceval Barrier, Les vrais sages sont des rebelles, Nathan, février 2021, 128 p., 18.90 €
A partir de 9 ans
Une histoire de la philo en BD !
De l’Antiquité à aujourd’hui, ce que les philosophes ont encore à nous apprendre.
Une plongée vivante et pleine d’humour dans la vie quotidienne des grands philosophes pour comprendre leur vie, leurs questions, leurs réponses et comprendre comment elles peuvent encore nous parler aujourd’hui.
Un livre pour découvrir en quoi la philosophie peut nous éclairer sur la façon de conduire notre vie, nous permettre d’acquérir un esprit critique et de fournir des outils pour se construire une sagesse personnelle !
Une autre façon de parler de philo aux enfants, plus incarnée, à travers des histoires personnelles, des anecdotes, de l’humour.
Yaël Hassan, Poing levé, Muscadier, février 2021, 165 p., 13.50 €
A partir de 12 ans
Junior est français. Ses parents sont originaires des Antilles et sa peau est noire. Il ne s’est jamais senti différent des autres au contraire de ses sœurs qui ressentent le racisme de la société.
Ses amies Anissa et Yasmina sont elles musulmanes. Mais si l’une vit librement sa religion l’autre appartient à une famille intégriste.
C’est à l’occasion d’un exposé sur l’athlète Tommie Smith et son geste contre les discriminations des noirs en Amérique du nord, qu’il va s’interroger sur le racisme et les préjugés alors que la mort actuelle de Georges Floyd résonne en écho.
Il rencontre aussi sa voisine Anna qui va l’aider dans son travail scolaire et l’amener à s’interroger plus profondément sur les raisons de ces différences de traitement.
J’ai beaucoup aimé ce roman qui nous propose avec efficacité de nous interroger sur ce qui divise la société et des raisons qui sont à la racine de ce système de cases qui nous enferment.
La construction du livre à plusieurs niveaux, entre passé et présent, racisme contre les noirs et préjugés contre les musulmans, est bien ficelée et facile à lire.
À découvrir !