La sélection des livres d'avril 2020
En avril nous avons proposé des livres que chacun est susceptible de posséder chez soi. Loin des bibliothèques idéales, il s’agit d’un rappel à la beauté de ces livres et de vous donner envie de lire (à nouveau) certains ouvrages.
LITTÉRATURE FRANCOPHONE EN BROCHÉ OU EN POCHE
Joseph Kessel, Les Cavaliers, Gallimard, 1967, 608 pages.
Dans cette grande odyssée dans les steppes afghanes, l’auteur sait nous fait ressentir au plus près les frémissements des hommes comme la beauté des paysages. Aline
En Afghanistan, pays grandiose que Joseph Kessel rend aussi vivant qu’un être humain, se situe l’action d’une des aventures romanesques les plus belles et les plus féroces qui aient été contées. Les personnages atteignent une dimension épique : Ouroz et sa longue marche au bout de l’enfer… Le grand Toursène fidèle à sa légende de tchopendoz toujours victorieux… Mokkhi, le bon saïs, au destin inversé par la haine et la découverte de la femme… Zéré qui dans l’humiliation efface les souillures d’une misère qui date de l’origine des temps… Et puis l’inoubliable Guardi Guedj, le conteur centenaire à qui son peuple a donné le plus beau des noms : « Aïeul de tout le monde »… Enfin, Jehol « le Cheval Fou », dont la présence tutélaire et « humaine » plane sur cette chanson de geste… Le souffle de la fable et du mythe les anime, et nourrit le roman. C’est le merveilleux complot de la tendresse et de la dignité.
En même temps, l’aventure, la grande aventure court et chevauche d’un bout à l’autre du roman.
Elle ne s’essouffle jamais. A partir du jeu extraordinaire des steppes — le bouzkachi — tout un univers violent, puissant, impitoyable et magnifique, — avec ses méchants et ses justes, ses faibles et ses forts, ses bazars, ses foules, ses grandes routes et ses prodigieuses solitudes — imprègne chaque page d’un livre dont on ne peut se dessaisir jusqu’à la dernière image.
Pascal Quignard, Tous les matins du monde, Gallimard, 1991, 132 pages (poche) / 144 pages (broché).
«Il poussa la porte qui donnait sur la balustrade et le jardin de derrière et il vit soudain l’ombre de sa femme morte qui se tenait à ses côtés. Ils marchèrent sur la pelouse. Il se prit de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu’à la barque. L’ombre de Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu’il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque. Il se redressa. Les larmes glissaient sur ses joues. Il murmura : – Je ne sais comment dire : Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids.»
Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869. Disponible aujourd’hui chez Pocket, GF, Le Livre de Poche, dans la collection Folio et en broché chez Classiques Garnier et Corti.
C’est un livre d’apprentissage qui donne non seulement une représentation de son époque, mais va bien au-delà et laisse place à la réflexion.
Tout est dit sur l’humain, sa relation avec autrui et son rapport à la société.
Le narrateur relate les sentiments des personnages de la plus grande admiration au plus profond mépris, il dévoile leur noble ambition comme le vil calcul de leurs intérêts, et met en lumière leurs illusions assombries par la désillusion.
L’écriture est d’une force sans pareille et en quelques mots, parfois une phrase très courte l’essentiel est dit avec une implacable justesse. Anne Gagnoud
Extraits choisis :
« Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites »
« Alors il fut saisi par un frisson de l’âme où il vous semble qu’on est transporté dans un monde supérieur. (…) Son visage s’offrait à lui dans la glace. Il se trouva beau ; et resta une minute à se regarder »
« Tous sympathisaient. D’abord, leur haine du Gouvernement avait la hauteur d’un dogme indiscutable »
» Il y avait de petits rires sous les mouchoirs, et l’on entrevoyait au bord des corsages des frémissements d’éventails, lents et doux comme des battements d’ailes d’oiseau blessé »
Peinture acerbe d’une France du XIXe siècle devenue esclave des codes de la bourgeoisie, L’Éducation sentimentaletrace le parcours amoureux d’un jeune homme, Frédéric, épris d’une femme mariée, Madame Arnoux, dont l’image ne le quitte plus. Par sentimentalisme, le héros se complait dans un amour romantique. Mais Frédéric n’est pas à la hauteur de la passion qu’il éprouve : les mesquineries humaines ne cessent de le rattraper, et achèvent de maculer l’attachement céleste qu’il croit ressentir.
Dans une France où s’annonce la Révolution de 1848, Flaubert n’épargne rien à ces amants anachroniques, en faisant de Frédéric un idéaliste fourvoyé et de Madame Arnoux une Princesse de Clèves égarée. C’est pourtant chez ces êtres décalés que Flaubert décèle la grâce émouvante des amours boiteuses.
Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, Gallimard, 1951, 360 pages (broché) /384 pages (poche).
Cette œuvre, qui est à la fois roman, histoire, poésie, a été saluée par la critique française et mondiale comme un événement littéraire. En imaginant les Mémoires d’un grand empereur romain, l’auteur a voulu « refaire du dedans ce que les archéologues du XIXe siècle ont fait du dehors ». Jugeant sans complaisance sa vie d’homme et son œuvre politique, Hadrien n’ignore pas que Rome, malgré sa grandeur, finira un jour par périr, mais son réalisme romain et son humanisme hérité des Grecs lui font sentir l’importance de penser et de servir jusqu’au bout. « Je me sentais responsable de la beauté du monde », dit ce héros dont les problèmes sont ceux de l’homme de tous les temps : les dangers mortels qui du dedans et du dehors confrontent les civilisations, la quête d’un accord harmonieux entre le bonheur et la « discipline auguste », entre l’intelligence et la volonté.
La version brochée est suivie de Carnets de notes de «Mémoires d’Hadrien».
Marguerite Yourcenar a mûri ce roman pendant plus de 20 ans avant de trouver le point de vue sous lequel l’aborder et d’en écrire la version définitive, publiée en 1951. Pourquoi cette fascination pour le IIᵉ siècle et Hadrien en particulier ? L’explication est peut-être à trouver chez Flaubert, « Les dieux n’étant plus, et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l’homme seul a été. » Aline
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
Ernest Hemingway, Pour qui sonne le glas, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Denise Van Moppès, Gallimard, 1940, 512 pages.
Un jeune professeur américain engagé dans les Brigades internationales durant la Guerre civile espagnole, est envoyé en Castille dans les jours qui précèdent l’offensive de Ségovie pour faire sauter un pont. Pour y arriver, Robert Jordan rejoint un groupe de partisans antifascistes derrière les lignes, cachés dans les montagnes. Pendant trois jours, Robert Jordan prépare son attaque, qui semble désespérée, et partage le quotidien de ces guérilleros et notamment de deux femmes, Maria et Pilar.
« Pas d’adieu, guapa, parce que nous ne sommes pas séparés. J’espère que tout ira bien dans les Gredos. Va maintenant. Va pour de bon. Non », il continuait à parler tranquillement, sagement, tandis que Pilar entraînait la jeune fille. « Ne te retourne pas. Mets ton pied dans l’étrier. Oui. Ton pied. Aide-la », dit-il à Pilar. « Soulève-la. Mets-la en selle. »Il tourna la tête, en sueur, et regarda vers le bas de la pente puis ramena son regard à l’endroit où la jeune fille était en selle avec Pilar auprès d’elle et Pablo juste derrière. « Maintenant, va », dit-il. « Va. »Elle allait tourner la tête. « Ne regarde pas en arrière », dit Robert Jordan. « Va. » Et Pablo frappa le cheval sur la croupe avec une entrave. »
Un livre de guerre certes mais avant tout un roman immense qui, par le biais de la petite histoire dans la grande, balaie toute la condition humaine, dans toute sa grandeur et toute sa petitesse, sa capacité à dépasser sa condition et l’inéluctable fatalité de son destin mortel, la hauteur de ses valeurs et la bassesse de ses instincts, l’élégance de ses solidarités et la médiocrité de ses jeux de pouvoir. Aline
Gabriel García Márquez, L’Amour au temps du choléra, traduit de l’espagnol (Colombie) par Annie Morvan, Grasset (broché), Le Livre de Poche (Poche), 1987
À la fin du XIXe siècle, dans une petite ville des Caraïbes, un jeune télégraphiste pauvre et une ravissante écolière jurent de se marier et de vivre un amour éternel. Durant trois ans ils ne vivent que l’un pour l’autre, mais Fermina épouse Juvenal Urbino, un jeune et brillant médecin. Alors Florentino, l’amoureux trahi, se mue en séducteur impénitent et s’efforce de se faire un nom et une fortune pour mériter celle qu’il ne cessera d’aimer, en secret, cinquante années durant. L’auteur de Cent ans de solitude et de Chronique d’une mort annoncée, prix Nobel 1982, donne libre cours à son génie de conteur, à la richesse de son imagination et à l’enchantement baroque de son écriture.
Après avoir écrit Cent ans de solitude, livre inclassable, imprégné de réalisme magique, il s’attaque à un sujet plutôt romantique ; il s’agit d’un romantisme magique. Aline
Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, 1958, Seuil / Points, 396 pages (broché) / 384 pages (poche).
En 1860, une aristocratie décadente et appauvrie, sourde aux bouleversements du monde, règne encore sur la Sicile. Mais le débarquement des troupes de Garibaldi amorce le renversement d’un ordre social séculaire. Conscient de la menace qui pèse sur les siens, le prince de Salina se résigne à accepter l’union de son neveu Tancrède avec la belle Angélique, fille d’un parvenu. Ultime concession qui signe la défaite du Guépard, le blason des Salina…
» Un des plus grands romans de ce siècle. « Louis Aragon
POÉSIE
Guillaume Apollinaire, Raoul Dufy (ill.), Alcools suivi de Le Bestiaire et Vitam Impendere Amori, Poésie-Gallimard, 192 pages.
Avec Alcools qui paraît en 1913, Guillaume Apollinaire creuse le tombeau poétique d’un monde qui s’effondrera un an plus tard dans la boue des tranchées. Relisons ce livre aujourd’hui, le regard posé loin devant sur un horizon à inventer.
Guillaume Apollinaire aura consacré quinze ans de sa vie à la composition du livre reconnu aujourd’hui comme révolutionnaire tant il bouscula en son temps les canons usés de la poésie française vieillissante et qui n’a pas encore su profiter du nouveau souffle que lui avaient apporté tour à tour Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé.
Pour l’anecdote, c’est après avoir entendu la lecture par Blaise Cendrars de son poème La prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France qu’Apollinaire décide de placer Zone en tête de son recueil, en faisant l’un des tout premiers manifestes de la modernité.
Outre Zone, Alcools rassemble parmi les plus beaux textes d’Apollinaire tels que Le Pont Mirabeau, La Chanson du Mal-Aimé, Saltimbanques, Clair de lune, Vendémiaire ou encore Les colchiques et leurs mystérieuses « mères Filles de leurs filles ». Serge Bonnery
[…] O gens que je connais
Il me suffit d’entendre le bruit de leurs pas
Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu’ils ont prise
Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit
De ressusciter les autres
Un jour je m’attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes […]
René Char, Feuillets d’Hypnos, Gallimard, 1946, 160 pages.
Ce recueil rassemble les « notes » que René Char écrivit en secret pendant ses années de Résistance et qu’il se refusait à considérer comme des poèmes. La force poétique des textes permet néanmoins de dépasser les circonstances historiques de leur composition pour proclamer la suprématie de l’agir sur le dire.
Dès 1942, René Char fait le choix de poser la plume et de prendre les armes en s’engageant dans l’Armée secrète. Sous le nom de capitaine Alexandre, il dirige à partir de juillet 1943 un maquis dont le QG est installé à Céreste dans les Basses-Alpes. Ayant décidé de ne rien publier durant cette période où prédomine chez lui la volonté d’être dans l’action combattante, le poète se contente de prendre des notes dans un carnet qu’il baptise alors Carnet d’Hypnos.
Parmi les feuillets, celui de « l’horrible journée » (numéro 138) décrit l’exécution par les SS d’un maquisard sous les yeux de ses camarades auxquels le capitaine Alexandre ne donnera jamais l’ordre de tirer sur l’ennemi. La scène se passe sur les hauteurs de Céreste : « Le soleil de juin glissait un froid polaire dans mes os. (…) Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix. Qu’est-ce qu’un village ? Un village pareil à un autre ? Peut-être l’a-t-il su, lui, à cet ultime instant ? »
Les Feuillets d’Hypnos paraîtront en 1946 aux éditions Gallimard dans la collection L’espoir dirigée par Albert Camus.
« Ces notes, précise René Char, marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils, et décidé à payer le prix pour cela ». Serge Bonnery
Dans Folioplus classiques, le texte intégral, enrichi d’une lecture d’image, écho pictural de l’œuvre, est suivi de sa mise en perspective organisée en six points :
– Mouvement littéraire : La Résistance, un devoir de poète
– Genre et registre : Le fragment poétique
– L’écrivain à sa table de travail : Du carnet de guerre aux Feuillets d’Hypnos
– Groupement de textes : La poésie en procès
– Chronologie : René Char et son temps
– Fiche : Des pistes pour rendre compte de sa lecture.
POLARS
Georges Simenon, Feux rouges, Presses de la Cité / Le Livre de Poche, 1953, 190 pages.
Week-end de Labour Day, Steve et Nancy Hogan quittent New York et remontent la Nouvelle-Angleterre pour chercher leurs enfants. La route est encombrée avec 45 millions d’automobilistes attendus. Steve, qui souffre de la réussite professionnelle de sa femme, de son attitude protectrice et, surtout, d’une incapacité à «sortir des rails », demande parfois à l’alcool de mettre un peu de fantaisie dans son existence. Mais bientôt une altercation s’élève entre eux et sa femme décide de rejoindre leurs enfants par le bus. Steve dispose d’une nuit de liberté qu’il passe à boire.
Un roman américain de Simenon dans lequel on retrouve sa passion pour les horaires de train et les ambiances sombres, cependant cette ambiance américaine lui permet d’explorer des méandres psychologiques nouveaux. Aline
Henning Mankell, Avant le gel, traduit du suédois par Anna Gibson, Points (Poche), Seuil (broché), 2005, 504 pages /444 pages.
Fin août 2001, dans la forêt aux abords d’Ystad, la police fait une atroce découverte: une tête de femme coupée, deux mains jointes comme pour la prière reposent près d’une bible aux pages griffonnées d’annotations. Ce crime intervient après une série d’incidents macabres, notamment l’immolation d’animaux par le feu. Le commissaire Wallander est inquiet. Ces actes révoltants seraient-ils le prélude à d’autres sacrifices, humains cette fois, et de plus vaste envergure? Linda Wallander arrive à Ystad, impatiente d’endosser l’uniforme de la police. Contre l’avis de son père, dont elle partage déjà l’anticonformisme et l’irascibilité, elle se lance dans une enquête parallèle, qui l’entraîne vers une secte religieuse fanatique, résolue à punir le monde de ses péchés.
SF
Stanislas Lem, Solaris, traduit du polonais par Jean-Michel Jasienko, Gallimard, 1961, 336 pages.
Solaris : un monde inhabité tournant autour de deux soleils, entièrement recouvert d’un immense océan protoplasmique qui, pour les scientifiques de la Terre, demeure un irritant mystère. Dès son arrivée sur Solaris, le Dr Kelvin est intrigué par le comportement du physicien Sartorius et du cybernéticien Snaut, qui semblent terrorisés. Lui-même reçoit la visite d’une femme, Harey ; une femme qu’il a autrefois aimée et qui s’est suicidée plusieurs années auparavant. Impossible… À moins qu’une entité intelligente n’essaie d’entrer en contact avec lui en matérialisant ses fantasmes les plus secrets, et qu’en l’océan lui-même réside la clé de cette énigme aux dimensions d’un monde.
PHILOSOPHIE
Clément Rosset, La Force majeure, Les Éditions de Minuit, 1983, 102 pages.
« La joie est, par définition, illogique et irrationnelle. La langue courante en dit là-dessus plus long qu’on ne pense lorsqu’elle parle de “joie folle” ou déclare de quelqu’un qu’il est “ fou de joie ”. Il n’est effectivement de joie que folle ; tout homme joyeux est à sa manière un déraisonnant.
Mais c’est justement en cela que la joie constitue la force majeure, la seule disposition d’esprit capable de concilier l’exercice de la vie avec la connaissance de la vérité. (…). En ces temps de prédictions volontiers catastrophiques, on se garde pourtant d’envisager la pire des hypothèses (…). Car ce serait là un monde dont personne au fond ne veut ni n’a jamais voulu : on pressent trop qu’aucun des problèmes qui font le principal souci de l’homme n’y trouverait de solution. C’est pourquoi ceux qui travaillent sans relâche à son avènement n’attendent en fait de leur labeur qu’un oubli momentané de leur peine, et rien de plus. Et on peut parier qu’ils montreraient moins d’ardeur à la tâche s’ils n’étaient soutenus par la conviction secrète que celle-ci n’a aucune chance d’aboutir. »
Clément Rosset
Par ces temps imprévisibles, relire ce livre, c’est se plonger dans les forces de l’irrationalité. Aline
ESSAIS
Charlotte Marchina, Nomad’s land. Éleveurs, animaux et paysage chez les peuples mongols, Zones sensibles, 2019, 224 pages.
Cet ouvrage est un essai sur les relations que les éleveurs nomades entretiennent avec leur environnement chez deux peuples mongols, en Mongolie et en Sibérie du Sud. Il est le fruit de plus de vingt mois d’enquête cumulés sur le terrain entre 2008 et 2019. Grâce à sa connaissance des langues (mongol, bouriate, russe) et à ses séjours prolongés, Charlotte Marchina entraîne le lecteur dans l’intimité et la vie quotidienne des éleveurs. Nomad’s land se concentre sur les aspects spatiaux du pastoralisme nomade, et notamment sur les manières dont les éleveurs envisagent et mettent concrètement en œuvre l’occupation de l’espace, à partager avec des êtres non humains, que ce soient des animaux domestiques, sauvages, ou encore des entités invisibles. En comparant les situations de peuples mongols de part et d’autre de la frontière mongolo-russe, ce livre montre également un continuum culturel mongol malgré l’inscription dans des trajectoires historiques et politiques différentes.
HISTOIRE
Dionys Mascolo, Autour d’un effort de mémoire. Sur une lettre de Robert Antelme, Maurice Nadeau, Paris, 1987.
Sorte de « retour à la chair » d’Antelme. Michèle Planel
« Si maints déportés ont écrit leurs souvenirs, leur retour à l’humanité n’y figure guère » André Malraux.
Robert Antelme est arrêté par la Gestapo et déporté en juin 1944. Il se retrouve à Dachau un an plus tard, presque moribond. Le camp est bloqué par les troupes américaines par peur du typhus mais deux amis, dont Dionys Mascolo, réussissent à le faire sortir. Commence alors un « voyage infernal et merveilleux ». Il parle, pendant cinq semaines, et ne pense « mourir que de ce bonheur ». Deux ans plus tard il publie aux éphémères Editions de la Pensée Universelle, qu’il a fondées avec Marguerite Duras, ce livre, L’Espèce humaine. Entre la parole « sans fin » et le récit nécessaire il y a la Lettre à Dionys Mascolo. A Malraux, Mascolo réplique : « La Lettre de Robert dit précisément ce que l’on nous dit qu’il est impossible de dire, qui devrait donc rester inouï. » Au-delà du « simple raccordement de mémoire », de la « réconciliation » ou de l' »examen de passage », comme au-delà de la trop claire « dénégation », s’ouvre l’espace d’une innocence, d’une « originelle indétermination », où l’homme nié revient à l’homme et où l’écriture à la fois précise et tremblée de la lettre anticipe sur la rédaction du livre. Cet état, « jamais.. il n’y renoncera, jamais n’en guérira, ou jamais ne le trahira ». La « réincarnation » (littéralement : le retour à la chair) d’Antelme est exemplaire.
Robert Antelme, L’Espèce humaine, Gallimard, 1957, 308 pages.
«Quand l’homme en est réduit à l’extrême dénuement du besoin, quand il devient « celui qui mange les épluchures », l’on s’aperçoit qu’il est réduit à lui-même, et l’homme se découvre comme celui qui n’a besoin de rien d’autre que le besoin pour, niant ce qui le nie, maintenir le rapport humain dans sa primauté. Il faut ajouter que le besoin alors change, qu’il se radicalise au sens propre, qu’il n’est plus qu’un besoin aride, sans jouissance, sans contenu, qu’il est rapport nu à la vie nue et que le pain que l’on mange répond immédiatement à l’exigence du besoin, de même que le besoin est immédiatement le besoin de vivre. Levinas, dans diverses analyses, a montré que le besoin était toujours en même temps jouissance. Mais ce que nous rencontrons maintenant dans l’expérience d’Antelme qui fut celle de l’homme réduit à l’irréductible, c’est le besoin radical, qui ne me rapporte plus à moi-même, à la satisfaction de moi-même, mais à l’existence humaine pure et simple, vécue comme manque au niveau du besoin. Et sans doute s’agit-il encore d’une sorte d’égoïsme, et même du plus terrible égoïsme, mais d’un égoïsme sans ego, où l’homme, acharné à survivre, attaché d’une manière qu’il faut dire abjecte à vivre et à toujours vivre, porte cet attachement comme l’attachement impersonnel à la vie, et porte ce besoin comme le besoin qui n’est plus le sien propre, mais le besoin vide et neutre en quelque sorte, ainsi virtuellement celui de tous. « Vivre, dit-il à peu près, c’est alors tout le sacré. »
Maurice Blanchot.
LIVRES PRATIQUES
Bernard Bertrand, Victor Renaud, Le Génie du sol vivant, Éditions de Terran, 2015, 264 pages.
La difficulté à remettre en cause les principes dominants de l’agronomie conventionnelle, est surprenante. Alors que le désert est à nos portes, il est urgent de révolutionner nos pratiques agronomiques, au-delà du “cultiver bio”. AvecLe Génie du sol vivant, vous avez en main toutes les clefs d’une révolution de notre rapport à la terre, qu’il est urgent d’enclencher. “Se réconcilier avec des forces vitales” plutôt que de “lutter contre” est l’un des profonds changements auquel nous vous convions.
Si Le Génie du sol vivant se trouve être le point de départ d’une philosophie de vie, il nous apporte aussi les outils techniques indispensables à la mise en oeuvre d’une démarche globale d’agriculture innovante et productive. Alors, tout est possible et nourrir 9 milliards d’individus n’est plus utopiste…
Magali Amir, Jacques Albarel, Saveurs et jardins du Haut-Languedoc, éditions du Rouergue/Parc naturel régional du Haut-Languedoc, 2009, 256 pages.
Ce livre richement illustré nous fait entrer dans les potagers du Haut-Languedoc. Après deux introductions, consacrées aux conditions de culture propres au parc du Haut-Languedoc d’une part et à l’histoire des jardins potagers en occident d’autre part, cet ouvrage nous propose de découvrir, légume par légume, les variétés locales et les recettes de cuisine qui leur sont attachées. Ce faisant, le lecteur apprend les techniques de jardinage traditionnelles, découvre de nombreux outils très particuliers, pour mieux approcher la manière dont les potagers façonnent à leur échelle les beaux paysages du Parc. Histoires botaniques, anecdotes, conseils de jardinage et recettes de cuisine se conjuguent dans un livre savoureux et poétique.
JEUNESSE
Jean Giono, Olivier Desvaux (ill.), L’homme qui plantait des arbres, Gallimard, 64 pages.
Au cours d’une de ses promenades en Haute-Provence, Jean Giono a un jour rencontré un personnage extraordinaire, un berger solitaire et paisible qui plantait des arbres, des milliers d’arbres.
Au fil des ans, le vieil homme a réalisé son rêve : la lande aride et désolée est devenue une terre pleine de vie… Une histoire simple et généreuse, un portrait émouvant et un hymne à la nature.
Pour découvrir Giono, son amour des arbres et de la Provence, à travers un hommage à un amoureux de la nature. Un livre à savourer comme une bouffée d’air pur.
ROMAN GRAPHIQUE
Tom Tirabosco, Pierre Wazem, La Fin du monde, Futuropolis, 2019, 116 pages.
Par une pluie torrentielle, un couple et leur fils quittent en voiture leur maison campagnarde. La femme est sur le point d’accoucher et il est urgent de se rendre à l’hôpital. Soudain, un éclair fend le ciel et un arbre s’effondre sur le toit de la voiture. 20 ans plus tard, la météo est à nouveau exécrable. Des trombes d’eau s’abattent sur la région depuis des jours et jours. Catastrophistes, les médias parlent même de fin du monde ! Pourtant, une jeune fille en proie à une douce et intime mélancolie ne stresse pas le moins du monde. Allongée sur le sol de son appartement, elle se laisse aller à ses pensées et soliloque paisiblement avec une voix intérieure. Vient l’annonce de l’hospitalisation de son père, dans le coma suite à un infarctus. Elle lui rend une petite visite, et part finalement s’isoler dans sa maison familiale, sous prétexte de s’occuper du chat. Elle s’y rend, sous la pluie battante, et se laisse aller à une forme de plénitude… lorsqu’elle s’aperçoit qu’une vielle femme se tient derrière elle.
Quête intime d’une jeune femme qui cherche à se comprendre et se construire, durant une météo apocalyptique, cette histoire hyper-mélancolique et pourtant optimiste, aborde les thématiques de l’absence, de la quête de soi, du manque affectif.
Un récit onirique touchant, mis en image par un dessin à la craie, onctueux et élégant…
ARTS
Ernst Gombrich, Histoire de l’art, Phaidon, 1950, 688 pages.
Histoire de l’art d’Ernst Gombrich est l’un des ouvrages sur l’art les plus célèbres et les plus populaires jamais publiés. Depuis plus de cinquante ans, il demeure une introduction inégalée à l’ensemble du sujet, des premières peintures rupestres à l’art d’aujourd’hui. Dans le monde entier, les lecteurs de tous âges et de tous milieux ont trouvé en Gombrich un véritable maître, qui allie la connaissance et la sagesse à un don unique pour communiquer directement sa profonde affection pour les œuvres qu’il décrit. Cette Histoire de l’art doit sa popularité durable au style simple et direct de l’auteur. Son but, écrit-il, est « d’apporter un certain ordre, une certaine clarté dans l’abondance de noms propres, de dates, de styles qui compliquent quelque peu les ouvrages plus spécialisés ». Grâce à son intelligence de la psychologie des arts visuels, il nous fait percevoir l’histoire de l’art comme « un enchaînement ininterrompu de traditions encore vivantes » qui « relie l’art de notre temps à celui de l’âge des pyramides ».