Sélection de février et mars 2022

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LA SÉLECTION DE FÉVRIER ET MARS 2022

LITTÉRATURE FRANÇAISE

Dima Abdallah, Bleu nuit, Sabine Wespieser Éditeur, janvier 2022, 232 pages, 20 €

Un second roman, une langue, les déchirures d’un être, les personnages d’un quartier parisien autour du Père Lachaise.

« Je veux que toute ma vie d’avant brûle doucement et tombe en cendres». Telle est, répétée dans le secret du for intérieur, la prière d’un homme qui a fait le choix de vivre dans la rue après avoir appris la mort du seul amour de sa vie. Le narrateur, jamais nommé, trouve un refuge inhabituel dans l’impersonnalité d’une vie marginale, dehors, avec, pour seul compagnon, un sac de couchage, et un chien, Minuit, qui le rejoint chaque soir à minuit pile. Il marche, jour après jour, découvrant ce quartier autour du cimetière du Père-Lachaise, après avoir laissé tomber ses clefs dans une bouche d’égout. Ainsi, pas de retour en arrière possible – il faut avancer, voilà tout.

Les démons enfouis vont ressusciter l’un après l’autre. Les plus proches d’abord, ramenés par les parfums de la vie, ceux du pain, des croissants, du café torréfié, du linge propre autour des laveries publiques. La mémoire joue les archéologues. L’auteure dégage une couche pour en révéler une autre, un indice qui va compléter malgré soi l’image qu’on cherche à effacer, un artefact qui va dérouler des histoires enfouies. Il y a quelque chose de somptueux dans ce procédé inexorable où Dima Abdallah semble suivre le fil de son propre récit en en dégageant les fragiles éléments au pinceau, en toute délicatesse. Le narrateur croise la destinée de femmes qui seront autant de révélateurs de son monde intérieur, tourmenté, ou du monde tout court qui ne tourne pas vraiment rond, mais avant tout des sensibilités tristes et/ou belles formant un cortège de second rôles qui apporte de la lumière et de la vie à l’histoire : Ella, la jeune fille aux écouteurs (au son d’Ella Fitzgerald ?) qui chaque mercredi lui donne un croissant, Emma la caissière fatiguée avec qui il échange deux mots le mardi… apportent douceur et lumière à son errance. La musique est omniprésente (Chopin, Nina Simone, Ella Fitzgerald, etc.). De même que la poésie de l’auteur ou d’autres auteurs qui rythme chaque entre-chapitres.

Le bleu nuit du titre et auquel veut échapper le narrateur est issu de la gamme de couleurs du ciel de son pays natal dont les souvenirs qu’il y a gardés sourdent de manière insidieuse.

Libanaise arrivée à Paris à l’âge de 12 ans, Dima Abdallah comme dans son poignant premier roman Mauvaises herbesaborde de nouveau la question des origines et des racines mais au travers le quotidien de cet homme qui espère dans son errance être purgé de sa mémoire et peut-être purifié. Le noctambule du macadam parisien est donc surtout un funambule qui marche et qui donne chair à ces silhouettes devenues invisibles qui sont dans les rues de nos villes comme des herbes folles.

https://www.lorientlejour.com/article/1286699/le-bleu-nuance-aigue-de-lobscurite.html

Hélène Gestern, 555, Arléa, janvier 2022, 460 p., 22 €

Récit d’investigation à plusieurs voix et plongée dans un univers musical qu’on aurait grand tort d’imaginer paisible et équanime autour d’une sonate du compositeur baroque Domenico Scarlatti apparu puis disparu. Un ébéniste met la main dans la doublure d’un étui de violoncelle sur un feuillet : une partition d’apparence ancienne qu’il se hâte de faire déchiffrer par une claveciniste reconnue. Cette sonate viendrait s’ajouter aux 555 sonates au clavier déjà recensées. Avec un grand sens de l’évocation allié à un art consommé du suspense, nous voilà entraîné dans une enquête à rebondissements multiples et dans les atermoiements, les ruptures, les rendez-vous manqués d’une claveciniste (très beau personnage), d’un ébéniste, d’un luthier, d’un collectionneur et du biographe du grand compositeur car l’affaire, qui ne paraissait ne concerner que des spécialistes s’inscrit dans l’universalité de la condition humaine.

« Gestern est à son meilleur dans les passages consacrés à la claveciniste. (…) Cʼest une trajectoire d’interprète, superbement rendue. Le roman est dédié à ceux qui « accompagnent les années, les heures et les jours ». » Libération, 8 et 9 janvier 2022

Gabrielle Filteau-Chiba, Sauvagines, Stock, 368 p., 20.90 €

Raphaëlle est garde-forestière au cœur de la forêt du Kamouraska, à l’Est du Québec. Après avoir trouvé des traces d’ours devant sa caravane perdue dans les bois, elle adopte une chienne Coyote qu’elle retrouve, quelques jours plus tard gravement blessée par des collets illégalement posés. Folle de rage, elle laisse un message d’avertissement au braconnier. Lorsqu’elle retrouve des empreintes d’homme devant chez elle et une peau de coyote sur son lit, elle comprend que de chasseuse, elle est devenue chassée. Mais Raphaëlle n’est pas du genre à se laisser intimider. Elle a entretemps découvert le journal d’Anouk (belle mise en abime car c’est le texte d’Encabanées son précédent roman – qu’on l’ai lu ou non) qui comme elle, survit seule dans les bois. Aidée de son vieil ami Lionel et de la belle Anouk, elle échafaude patiemment sa vengeance.

Un roman haletant et envoûtant qui nous plonge dans la splendeur de la forêt boréale, sur les traces de deux-écoguerrières prêtent à tout pour protéger leur monde et ceux qui l’habitent.

L’écriture est dans le plus pur style dialectal québécois, truffé de mots et d’expressions de la région, mais l’armature littéraire permet au lecteur de s’habituer tout en ayant l’impression d’une voix qui nous parle. C’est très habile.

https://www.la-croix.com/Culture/Sauvagines-Gabrielle-Filteau-Chiba-roulotte-Canada-2022-01-06-1201193424

Maylis de Kerangal, Joy Sorman, Seyvoz, Inculte, février 2022, 112 p., 12.90 €

Tomi Motz, ingénieur solitaire, est mandaté par son entreprise pour contrôler les installations du barrage de Seyvoz, dont l’édification, dans les années cinquante, a entraîné la création d’un lac artificiel et englouti le village de montagne qui se trouvait là. Pendant quatre jours, Tomi arpente la zone. Sous l’effet d’un étrange magnétisme, sa mission se voit bientôt perturbée par une série de troubles sensoriels et psychiques. Autour de lui, le réel se dérobe ; tout vacille, les lieux et les comportements, les jours comme les nuits, et peut-être jusqu’à sa propre raison.

S’aventurant aux lisières du fantastique, ce roman sonde les traces d’une catastrophe. Maylis de Kerangal et Joy Sorman y font résonner une mémoire immergée mais insistante, et affleurer les strates de temps qui se tiennent dans les plis du paysage.

https://www.lesinrocks.com/livres/dans-seyvoz-maylis-de-kerangal-et-joy-sorman-tissent-le-recit-hypnotique-de-villages-engloutis-444710-21-02-2022/

 

Vincent Message, Les Années sans soleil, Le Seuil, janvier 2022, 256 p., 19 €

Le roman commence par une scène surréaliste : Elias Torres arrive dans un aéroport aux Etats-Unis, après quelques heures de vol. Immédiatement arrêté, il est invité à monter dans un avion pour rentrer en France sans avoir foulé le sol américain.
L’essentiel des passagers de l’aller font également demi-tour.

Nous sommes en mars, un confinement arrive…

Écrivain au succès modeste, libraire à ses heures, Elias Torres vit à Toulouse avec Camille et leurs enfants. Un certain mois de mars, tout se resserre autour d’eux : ils n’ont plus le droit de quitter le pays, leur ville, puis leur quartier.

Afin de relativiser la détresse du présent, Elias mène des recherches pour savoir quelles ont été les pires années de l’histoire de l’humanité. Pour lui, la réponse ne fait pas de doute : ce sont les décennies qui ont suivi 535-536. Ces années-là, le soleil a cessé de briller pendant près de dix-huit mois. Tout en luttant pour protéger les siens, Elias se passionne pour ce petit âge glaciaire qui a marqué l’histoire d’une empreinte aussi méconnue que décisive.

Dans ce roman porté par une voix inquiète et vive, l’amour de la littérature devient un des antidotes possibles aux angoisses qui nous hantent, et le confinement un espace de vie comme une parenthèse, où la quête de soi et la quête de sens emportent tout sur leur passage, y compris la vie qu’on croyait solide.

Un roman intelligent sur le confinement des corps et les pistes que l’on arpente pour sortir de ce qui apparaît individuellement et collectivement comme une impasse.

 

Mario Alonso, Watergang, Le Tripode, janvier 2022, 228 p., 18 €

Premier roman
L’histoire d’un petit garçon de 12 ans, bientôt 13, écrivain en herbe, dans le modeste village de Middelbourg, capitale de la Zélande aux Pays-Bas. Watergang, watringue ou wateringue est un fossé ou un ouvrage de drainage à vocation de dessèchement de bas-marais, de zones humides ou inondables situées dans les polders.

Explorant la vie du jeune garçon, de prime abord banale, le roman devient rapidement un mélange de grâce, d’humour, de légèreté et d’intelligence : si les premiers chapitres sont consacrés aux personnages : Paul,  sa mère Julia, divorcée et contrainte de travailler dans un supermarché, et sa grande sœur, pas encore tout à fait sortie de l’adolescence mais déjà enceinte, leur père parti refaire sa vie de l’autre côté de la mer, les polders, le nom de l’écrivain (Jan) que tend à devenir Paul plus tard, la couleur rose, l’action de l’histoire prennent tour à tour la parole et nous donne le sentiment d’une vue à 360°.

Paul passe ses journées à courir le long des canaux, au bord de l’eau, et à remplir son carnet de notes farfelues sur tout ce qu’il voit.
Watergang est un premier roman d’une grande douceur, teintée d’un humour étonnant, le premier de ce que Mario Alonso appelle ses romans-paysage. A travers le regard d’un enfant plongé dans une situation familiale à la fois difficile et tristement banale, c’est tout un monde qui s’éveille et se reconstruit, ravivant la beauté du monde.

https://actualitte.com/article/103537/avant-parutions/watergang-la-premiere-vague-de-mario-alonso

 

Sylvain Estibal, Terres voraces, Actes Sud, février 2022, 176 p., 16.80 €

La vie de Lucia a basculé depuis la disparition de sa fille. Le jour de son enlèvement, l’adolescente portait le maillot de son idole, Lionel Messi. Depuis, sa mère parcourt les collines à la recherche des cadavres ensevelis par les cartels mexicains. Des corps de femmes souvent, que des criminels abandonnent dans les fosses clandestines, les puits oubliés, les trous creusés à la hâte dans le désert. Mais dans un pays résigné face à l’impunité, la force de Lucia, sa volonté furieuse et brûlante de résister, de ne pas se résoudre à accepter l’infamie – celle du mensonge et de la complicité de l’État, celle d’une jeunesse décimée et de ces vies en suspens – deviennent vite embarrassantes pour les trafi­quants et leurs protecteurs.

C’est dans ce décor tragique que Messi entre en jeu, lors du match de demi-finales de la Ligue des champions. Le ravisseur en a décidé ainsi : si le Barça gagne, il libère la jeune Bianca. Sinon, elle sera exécutée. Paradoxe insensé faisant coexister la futilité d’un championnat de football et le prix dérisoire d’une vie…
Un texte sombre et incantatoire, à l’écriture pénétrante – comme les tiges de fer et les pioches qui fouillent ces terres voraces –, pour sonder l’ampleur des fissures invisibles, des séismes silencieux qu’elle révèle.

https://lmda.net/2022-01-mat22903-terres_voraces?debut_articles=%4011965

 

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

 

Robert Seethaler, Le dernier mouvement, traduit de l’allemand (Autriche) par Élisabeth Landes, Sabine Wespieser éditeur, février 2022, 128 p., 15 €

Sur le pont du paquebot qui le ramène en Europe après une ultime saison à New York, Gustav Mahler laisse dériver ses pensées. À cinquante ans, il est un compositeur adulé et le chef d’orchestre le plus réputé de son temps, mais son corps souffrant lui rappelle que la fin est proche. Emmitouflé dans une épaisse couverture, l’œil rivé sur la mer grise, son esprit dévide des souvenirs, surgis à la faveur d’une sensation fugace – le cri d’une mouette, l’ombre d’un nuage…

Robert Seethaler excelle à suggérer en quelques traits le pur bonheur des étés à la montagne, tout comme, dans un registre bien différent, la décennie pendant laquelle Mahler a réformé et dirigé l’Opéra de Vienne. L’amour tourmenté du musicien pour sa femme Alma, son chagrin à la mort de sa fille aînée et, bien sûr, la haute conception de son art traversent ce texte aussi bref que profond.

Sans la moindre emphase, l’écrivain restitue la légendaire exigence du maître, bourreau de travail malgré sa faible constitution, de même que sa quête permanente de la beauté.

C’est sans doute de son apparente simplicité que cet intense roman tire sa force. Les rares mots échangés face à l’océan entre l’illustre passager et le jeune garçon de cabine chargé de veiller à son bien-être sont à cet égard exemplaires.

Portrait tout en intériorité d’un artiste dont le génie ne s’est jamais tari, Le Dernier Mouvement est également une poignante méditation sur la puissance de la création.

https://www.swediteur.com/revue-de-presse/liberation-claire-devarrieux-samedi-12-fevrier-2022/

  

LIVRES DE POCHE

 

Richard Flanagan, Désirer, traduit de l’anglais (Australie) par Pierre Furlan, Actes Sud, février 2022, 304 p., 8.50 €

 Sur l’île Flinders, au large de la Tasmanie, là où le regard ne porte pas, ont été déportés les derniers autochtones de la Terre de Van Diemen. Ils ont été placés sous la protection du gouverneur sir John Franklin et de sa femme lady Jane qui, touchés par l’intelligence de la jeune aborigène Mathinna qu’ils ont adoptée, se sont donné pour mission de “civiliser” ces Noirs sauvages, craints autrefois, mourants aujourd’hui.
Des années plus tard, sir John Franklin va lui aussi connaître une fin tragique. Jamais revenu d’une expédition vers le cercle polaire, il est accusé par tout Londres d’avoir cédé au cannibalisme avant de disparaître.

C’est alors au grand Charles Dickens, affligé par une existence qui n’est plus que tourments, qu’est confiée la rédemption de l’explorateur.
Richard Flanagan, dans ce roman librement inspiré d’une page tragique de l’histoire, fait entrer en collision la société victorienne, bouffie d’orgueil et pourtant déjà agonisante, et ce qu’il pourrait rester de l’humanité, que la colonisation, dans la violence et l’ignorance, finira d’achever.

http://www.vers-les-iles.fr/livres/Femmes/Flanagan_1.html

 

 

Hugo Lindenberg, Un jour ce sera vide, Le Livre de Poche, février 2022, 224 p., 7.40 €

C’est un été en Normandie. Le narrateur est encore dans cet état de l’enfance où tout se vit intensément. Un jour, il rencontre un autre garçon sur la plage, Baptiste. Se noue entre eux une amitié d’autant plus forte qu’elle se fonde sur un déséquilibre : Baptiste a des parents parfaits, habite dans une maison parfaite. Sa famille est l’image d’un bonheur que le narrateur cherche partout, mais qui se refuse à lui. Flanqué d’une grand-mère à l’accent prononcé et d’une tante « monstrueuse », notre narrateur rêve, imagine, se raconte des histoires, tente de surpasser la honte sociale et familiale qui le saisit face à son nouvel ami. Il entre dans une zone trouble où le sentiment d’appartenance est ambigu : vers où va, finalement, sa loyauté ?

Ils sont rares et précieux ces livres difficiles à résumer, mais dont on saisit rapidement le suc et la substantifique moelle, l’originalité et l’impertinence.Le Figaro.fr.

Un subjuguant premier roman.Le Point.

Une grâce folle. Télérama.

PRIX DU LIVRE INTER 2021.

https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/09/10/un-jour-ce-sera-vide-d-hugo-lindenberg-l-enfance-medusee_6051637_3260.html

 

Martin de la Soudière, Arpenter le paysage, Payot, février 2022, 352 p., 9.50 €

Pour la première fois, Martin de La Soudière,  » ethnologue du dehors  » et du temps qu’il fait, se livre à l’introspection. Essai autobiographique sur le paysage, cet ouvrage est un retour aux origines, une entrée sur le terrain pour l’ethnologue féru de géographie… Ce paysage intime a pour cadre la montagne, celle des Pyrénées. Sur le mode du récit, Martin de La Soudière dialogue avec ses pères et ses carnets de travail.

Son corpus hors du commun rassemble des écrivains, géographes, paysagistes, peintres, botanistes, mais aussi grimpeurs, militaires, cartographes, taupiers, bergers et autres promeneurs. Tous écrivent leur paysage. Franz Schrader, Élisée Reclus ou Vidal de La Blache habitent l’imaginaire de l’auteur, au même titre que les manuels d’escalades du XIXe siècle ou les livres de géographie du jeune élève des années 1950/1960.
Entrer en Pyrénées s’opère aussi à différentes échelles, la vue statique et graphique avec son cadre et sa lumière est indissociable de l’expérience de l’escalade, de la promenade en famille ou de l’expédition aventurière entre frères et sours. Comme Martin de La Soudière le dit, on entre en paysage avec le pied et avec la main (on empoigne la matière de la roche pour grimper aux sommets). Mais l’écriture du paysage, en plein vent et en cabinet, est aussi une affaire de rituels.

L’auteur scrute les gestes de ses poètes de prédilection : Jean-Loup Trassard arpentant son bocage, Julien Gracq au volant de sa deux-chevaux sur les rives de la Loire, André Dhôtel se perdant dans la forêt des Ardennes, jusqu’à Fernando Pessoa le promeneur immobile de Lisbonne. À travers ses  » devanciers  » comme il les appelle, l’auteur revendique une intimité du paysage féconde pour l’imaginaire et le travail intellectuel. Dans cet ouvrage, Martin de La Soudière  » franchit  » la montagne en quelque sorte : inaugurant son récit par le souvenir de l’arrivée au seuil des Pyrénées quand il était enfant, le père de famille proclamant au volant de sa 15 chevaux  » Et voici nos montagnes « , il le termine de l’autre côté du sommet, en Aragon, sur un dialogue avec son frère décédé Vincent, dialogue aux accents d’énigmes sur une vue panoramique.
Le récit est accompagné de photos personnelles, d’extraits des carnets de Martin, carnets de son enfance jusqu’à aujourd’hui.

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/08/27/franchir-cols-soudiere/

ESSAI


Luba Jurgenson,
Le Semeur d’yeux, Verdier, février 2022, 336 p., 21 €

Ce livre est le fruit d’une longue expérience : celle de la lecture de Varlam Chalamov, écrivain majeur du xxe siècle qui fut aussi témoin d’une de ses réalités les plus sombres : le Goulag.

Témoignage ? Œuvre d’art ? Chalamov semble répondre par une formule fulgurante : « Ce qui devient grand dans l’art c’est ce qui, au fond, pourrait se passer d’art. »

Saisir un tel acte de création dans son émergence est l’ambition de cet ouvrage qui n’élude pas la dimension subjective des interprétations proposées. Les « clefs » offertes par Chalamov n’ouvrent pas tout, pas tout de suite. Aussi cette lecture suit-elle les sentiers tortueux par lesquels l’œuvre s’est construite. Elle épouse les détours, les va-et-vient d’une pensée à la chronologie bouleversée, au gré d’une mémoire fragmentée, censurée – celle des camps.

Et avec horreur
j’ai compris que j’étais invisible à quiconque
qu’il fallait semer des yeux
que le semeur d’yeux devait venir !

(Vélimir Khlebnikov)

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2022/02/16/verite-chalamov/

 

POLARS

 

Arnaldur Indridason, Le mur des silences, traduit de l’islandais par Éric Boury, Métailié, février 2022, 320 p., 22 €

C’est une maison dans laquelle les femmes ne se sont jamais senties bien, les familles n’y sont jamais restées longtemps. Une médium dit même y avoir perçu une sensation d’étouffement. Pendant des travaux de modernisation, le mur de la cave s’écroule et un corps apparaît.

Konrad enquête et met au jour des mystères anciens.

Dans le même temps il presse la police d’élucider le meurtre de son père mais il a oublié qu’à l’époque, l’enfant qu’il était avait menti, et il se retrouve soupçonné.

Toujours dans une ambiance à la Simenon et avec Konrad, un héros ici très ambigu, moyennement sympathique, noyé dans l’alcool et la solitude, un roman noir magistral dans lequel le passé et les victimes oubliées ressurgissent.

Un nouveau best-seller du roi du polar islandais.

https://www.nouvelobs.com/polar/20220206.OBS54137/arnaldur-indri-ason-le-simenon-de-reykjavik.html

POÉSIE

A l’occasion du Printemps des poètes (du 12 au 28 mars 2022), une sélection de poètes et de recueils de poésie contemporaine.

 

Diglee, Clémentine Beauvais, Je serai le feu, Éditions La Ville brûle, octobre 2021, 344 p., 29 €

« Oui, les femmes écrivent de la poésie (et non, leur poésie n’est ni uniforme ni mièvre). J’avais envie dans ce livre de partager avec vous ces mots qui m’ont tant émue. Et de faire la peau au vieux cliché qui voudrait que la poésie soit un genre littéraire réservé aux bancs de l’école ou,
pire encore, à une élite. » _Diglee

Je serai le feu est une anthologie sensible et subjective, dans laquelle Diglee réunit cinquante poétesses des 19e, 20e et 21e siècles. Certaines d’entre elles sont très connues, d’autres sont tombées dans l’oubli. Toutes ont en commun d’avoir marqué leur époque, et d’avoir écrit de sublimes poèmes. Pour chacune d’entre elles, Diglee a réalisé un portrait ou une illustration originale, rédigé une biographie, et sélectionné ses poèmes préférés.

Les poèmes anglophones inédits en français ont été traduits de l’anglais par Clémentine Beauvais.

Maureen Wingrove (Diglee) est une illustratrice, autrice de bande dessinée et romancière française. Elle est également passionnée de poésie et de littérature. Elle a récemment publié Libres et Baiser après #MeToo (avec Ovidie), ainsi qu’un premier récit littéraire sensible et puissant intitulé Ressac. 

Clémentine Beauvais est une romancière et traductrice française. Elle a récemment publié Décomposée(L’Iconoclaste) et Sainte Marguerite-Marie et moi(Quasar).

https://www.terrafemina.com/article/poesie-deux-livres-feministes-qui-celebrent-les-poetesses_a360168/1

 

Véronique Gentil, Le Cœur élémentaire, Faï fioc, 2019, 64 p., 8 €

de grands boeufs malléables ont le regard intact
on pense à rien dans le sceau des sabots
les chiens traversent

https://lmda.net/2019-07-mat20544-le_coeur_elementaire

 

 

L’Éphémère, 88 plaisirs fugaces,Éditions Bruno Doucey, février 2022, 240 p., 20 €

Anthologie établie par Thierry Renard & Bruno Doucey, avec la participation d’Ernest Pignon-Ernest

L’ comme L’instant, E comme Envol, P comme Passion, H comme Humanité… C’est sur le mode d’un acrostiche que les Éditions Bruno Doucey ont conçu l’anthologie de la 24e édition du Printemps des Poètes. L’éphémère et son unique voyelle invoquée quatre fois, l’inachevé, le fugace, le passager… Sans omettre ces insectes qui ne vivent qu’un jour, l’enfance et ses changements incessants, la brièveté de la vie humaine au regard des temps géologiques, la mémoire en lutte contre l’effacement, le rêve plus insaisissable que l’oiseau, la neige qui renvoie le monde à son impermanence. Bien sûr il y a l’envers de toute chose : l’éternité et le « dur désir de durer » dont parle Éluard, la mort seule immortelle. Mais reconnaissons-le, l’éphémère est avant tout une invitation à vivre pleinement le peu de temps qui nous est donné. Ici et maintenant. Et sans attendre !

88 poètes parmi lesquels :

Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Édith Azam, Nawel Ben Kraïem, Hélène et René-Guy Cadou, Louis‑Philippe Dalembert, René Depestre, Ananda Devi, Patrick Dubost, Jin Eun-young, Nancy Huston, Charles Juliet, Yvon Le Men, Jean-Michel Maulpoix, Hala Mohammad, Ada Mondès, Paola Pigani, André Velter, Sapho, Fabienne Swiatly, Carmen Yáñez, Hyam Yared…

L’instant éternellement présent

Épingle ses éclats

Propulse les écueils

Habite les saisons

Efface peu à peu

Mon texte jamais écrit

Et pas un seul mot

Rien ne le retiendra

Encre sur la paume

      au creux du temps

Acrostiche réalisé à partir de fragments de poèmes de : André Velter, Murielle Szac, Imasango, Albane Gellé, Samantha Barendson, Marianne Catzaras, Thierry Renard, Jeanne Benameur, Louise Dupré, Stéphane Juranics

https://printempsdespoetes.com

 

Mathilde Roux, Virginie Gautier, Paysage augmenté#1, Publie.net, septembre 2019, 112 p., 12 €

Quelque chose s’écarte,
dans le paysage,

quand nous avançons.

Dans ce roman d’anticipation poétique, Mathilde Roux réalise des collages cartographiques incrustés de mots et Virginie Gautier arpente ce territoire avec les siens. Ensemble, elles réalisent, dans la confrontation du paysage aux interprétations de la carte, un récit à la jonction des univers, des genres et des esthétiques. Au fil des apparitions ou disparitions des terres et des signes qui se (re)composent, le tout emmêlé dans la texture du plan, se noue alors un dialogue qui ne cesse de pressentir les pires tumultes des époques futures.

Le travail de Mathilde Roux et Virginie Gautier est un départ en forme d’écart. Écart (…) avec la cartographie conventionnelle. Tournant les pages de ce livre, on ne peut qu’être frappés par les échos multiples d’une littérature qui a rompu les amarres avec les rivages d’un monde trop connu, trop cartographié : René Daumal et Alain Damasio sont là à n’en pas douter, comme en embuscade. Il y a en effet dans ces lignes tracées et ces cartes façon commune avec la géographie paradoxale du Mont analogue, avec celle, antipodique cette fois, de La Horde du contrevent. Sans compter qu’un Henry David Thoreau doit sans doute arpenter des grèves voisines. — Postface d’Alexandre Chollier.

https://www.lespadon.info/2019/09/paysage-augmente-mathilde-roux-et.html

 

Amandine Monin, Racine Carougne, Éditions Jacques Brémont, 2018, 15 €

Cet ouvrage est mon premier livre. Il est né du rassemblement de plusieurs textes et poèmes écrits en plein air et plus particulièrement dans les Pyrénées. Ce que j’ai cherché dans ce travail, c’est l’avènement d’une langue qui puisse être contemporaine, en tout cas originale dans ma bouche, tout en ayant pour thématique la nature. Plus qu’une thématique, j’ai voulu en faire  une matière, matière sonore, matière à réfléchir, pré-texte peut-être à la question de la sidération. Théodore Monod parle de saisissement, de prise directe avec la notion de durée, de temps, dont la nature ne manque pas. Ce saisissement, cette rupture vécue devant certains paysages, au cours de certaines traversées, provient d’abord de causes concrètes : étendues, verticalités, traces apparentes, manque d’oxygène, dont il est intéressant de faire état et en rythme s’il vous plait, mais fait également naître un désir de connaissance. Connaissance du lieu, de son histoire, ses histoires, sa faune, ses climats, sa déclinaison de manifestations caractéristiques comme la couleur de certaines huiles dans les tourbières d’altitude ou l’éclatement circulaire des reliefs exposés à d’excessives et contraires températures.  

Au début il ne s’agissait peut-être que de jouer avec un nouvel alphabet mais très vite, la richesse des dialogues entre les phénomènes naturels m’a incité à creuser ce chemin plus en profondeur en m’intéressant notamment aux travaux de « géopoétique ».  

Cette écriture – poésie verticale, parti pris des lieux – répond aujourd’hui à un besoin de renouer avec le sentiment de « terrestreté », présent aussi par la langue. 

Prix de poésie Bernard Vargaftig 2017-2018.

https://www.poema.fr/amandine-monin/

 

Nicolas Bouvier, Le Dehors et le dedans, Zoé, février 2022, 112 p., 15 €

Postface d’Ingrid Thobois

Trébizonde, Kyoto, Ceylan, New York, Genève : Nicolas Bouvier n’a cessé d’écrire de la poésie, dans ses années de grands voyages comme dans ses périodes plus sédentaires. « [Elle] m’est plus nécessaire que la prose, expliquait-il, parce qu’elle est extrêmement directe, brutale – c’est du full-contact ! » Pourtant, il ne fit paraître qu’un unique recueil de poèmes, Le dehors et le dedans.

Composé de quarante-quatre textes écrits entre 1953 (le départ en voyage avec Thierry Vernet) et 1997 (quatre mois avant sa mort), ce recueil est paru pour la première fois en 1982, puis complété à quatre reprises et autant d’éditions. Bouvier s’y met à nu : de tous ses livres, « c’est l’ouvrage qui propose la plus ample et la plus intime traversée de son existence » (Ingrid Thobois).

https://www.editionszoe.ch/livre/le-dehors-et-le-dedans-1

 

BANDE DESSINÉE

 

Thierry Smolderen, Jorge González,Cauchemars ex-machina, Dargaud, janvier 2022, 128 p., 25 €

En 1940, le roman-mystère triomphe. La guerre venue, trois des meilleurs écrivains du genre s’engagent dans un combat à distance.

Margery Allingham, star du polar anglais fait équipe avec le génial Ernst Bornemann, réfugié allemand, pour piéger le Français Corneille Richelin. Pas une seconde ce dernier ne se doute des manipulations de ses deux confrères travaillant pour les services secrets britanniques.

Le but du jeu ? Attirer l’oncle du protecteur allemand de Richelin dans un piège mortel. L’issue du conflit mondial en dépend…

https://www.lesinrocks.com/livres/cauchemars-ex-machina-un-recit-despionnage-a-faire-rever-ian-fleming-423519-12-01-2022/

JEUNESSE 

 

Ken Kimura, Yasunari Murakami, 999 têtards, Casterman, février 2022, 48 p., 6.95 €

Réédition. De 3 à 5 ans.

Maman grenouille vient de donner naissance à pas moins de 999 têtards ! Qu’ils sont beaux et gentils… Et qu’ils grandissent vite !
Quand les 999 têtards se transforment en 999 grenouilles, il est temps de déménager dans une mare plus grande. Oui mais voilà : le monde extérieur est plein de dangers… Qu’importe, pour les petites grenouilles, l’aventure ne fait que commencer ! Une histoire dans laquelle l’union fait la force, parole de grenouilles !

https://lamareauxmots.com/des-petits-tetards-et-des-gros-monstres/

BEAU LIVRE

 

Matthieu Gounelle, Frédéric Pajak, Un ciel de pierres, Voyage en Atacama, Gallimard, janvier 2022, 128 p., 14.50 €

Tout dans l’Atacama tend à disparaître. L’horizon d’abord, et les ombres qu’on aperçoit à peine. Les météorites que nous enlevons à la Terre. Les Changos, exterminés sans lutter, brisés par la variole et le catholicisme, les mines et l’alcoolisme. Et puis les opposants à la dictature de Pinochet dont les os fragmentés, bien qu’invisibles, se dressent à l’horizon comme des pierres sacrées, livides et n’oubliant rien.
Quant à savoir pourquoi ces histoires de disparus me touchent tant, moi dont la famille n’a rien à voir avec l’Amérique latine ni avec le militantisme politique, je ne sais pas tout à fait. Sinon que quelqu’un manque. Et que cette personne qui manque c’est elle que je cherche, en même temps que les météorites.

 

 

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