LA SÉLECTION D’OCTOBRE 2021
LITTÉRATURE FRANÇAISE
Dany Laferrière, Sur la route avec Bashō, Grasset, octobre 2021, 384 p., 22 €
Après Autoportrait de Paris avec chat et L’exil vaut le voyage, Sur la route avec Bashō suit la méthode nonchalante et néanmoins réfléchie de Bashō, le moine-poète japonais du XVIIe siècle, une des inspirations constantes de l’auteur. Le narrateur de cette histoire parcourt le monde d’aujourd’hui, de l’Amérique au Japon en le prenant par surprise. Qui se méfierait d’un rêveur ? Il ne rêve pas du tout. Il admire (les femmes écrivains qu’il lit, de Jean Rhys à Zora Neale Hurston).
Il se remémore (les divinités vaudoues). Il éprouve de l’affection (envers une de ses voisines alors qu’il séjourne à New York). Des dessins stylisés parcourent le texte, qui sont peut-être la rêverie de ce narrateur « dans ce monde sans pitié ». Voyageant dans le monde contemporain, il ne peut que constater que la menace est partout. Dessinant ce qu’il voit, le narrateur écrit aussi des mots. (…)
Pourtant, son intention n’est pas de changer le monde, nous dit-il, « simplement d’y vivre ». Et l’on comprend alors que, comme le disait Pavese, c’est un métier de vivre.
Heureusement, il y a la littérature, le jazz, les femmes élégantes, les cafés et les fleurs. Il y a encore des rayons de soleil.
Dany Laferrière dans l’émission Signe des temps, France Culture, 4 juillet 2021
Samuel Bollendorff, Faiseur d’anges, Le Seuil, octobre 2021, 176 p., 18 €
« Le tuba, le slip de bain, le masque, puis les jambes et la partie gauche du buste se dévoilent dans la pénombre rouge du laboratoire. La trace du souvenir d’enfance avec mon père s’imprime d’argent sur le papier photographique. C’est ma révélation. »
Faiseur d’anges est un récit intime qui s’écrit au fil d’un album de famille et de photos personnelles que le lecteur ne peut qu’imaginer. Ce texte délicat fait apparaître la figure du père de l’auteur, ancien psychanalyste volubile qui noue avec son fils un dialogue poétique et troublé marqué par l’achat d’un premier appareil : Samuel sera photographe.
Un photographe qui fait peu à peu du reportage un art de la révélation accordant une place de choix à tous ceux que nos sociétés consignent aux marges – exilés, pauvres, malades. Autant de destinées souvent invisibles qui font écho aux absents du roman familial.
Samuel Bollendorff, né en 1974, est un photographe indépendant dont le travail a été plusieurs fois primé. Il est également auteur de films documentaires, dont Le Grand Incendie (2013) et La Parade (2017). Faiseur d’anges est son premier récit.
http://www.samuel-bollendorff.com/fr/
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
Rui Manuel Amaral, Cahiers de Bernfried Järvi, traduit du portugais par Hélène Melo, éditions Do, septembre 2021, 176 p., 17 €
Aix-la-Chapelle, début des années 1970. Bernfried Järvi travaille dans un bureau. Insomniaque, nihiliste et fantasque, il erre dans la ville et fréquente assidûment le Ceuta, l’Aviz et le Piolho, trois bars mythiques de la ville de… Porto – ce n’est là ni la première ni la dernière étrangeté du texte.
Bernfried est un écrivain qui ne parvient pas à écrire. Il passe des nuits blanches devant sa feuille blanche et, à défaut de concrétiser son rêve d’écrire un livre, il prend en note son quotidien, où le vide le dispute à l’ennui. Ses compagnons de bistrot forment une galerie de personnages oisifs et désœuvrés — prêcheurs, poètes, philosophes ou visionnaires — qui présentent tous des caractéristiques et des comportements étranges, inattendus.
Déambulation existentielle et somnambule dans la ville et les bars, ces carnets de notes, dépourvus d’intrigues, de rebondissements et autres péripéties, n’en regorgent pas moins d’histoires à la fois banales, extraordinaires et poétiques faisant écho à nos propres existences, avec ses nombreux passages surréalistes, ingénus, drôles.
« (…) Rui est l’un des grands saboteurs de la narration dans notre pays. Il y a ceux qui racontent des histoires, il y a ceux qui écrivent des poèmes et il y a d’autres — quelques-uns — qui se consacrent à dynamiter les histoires dans lesquelles nous nous cachons. Et c’est pourquoi son œuvre est pleine de virages inattendus, de freins brusques, de bosses existentielles qui déconcertent le lecteur et le désarment pour tous les maux que le livre tente de lui infliger. (…)
Dans cette œuvre merveilleuse, nous naviguons à travers les méandres d’un café banal qui pourrait être double, qui pourrait être à Porto ou à Aix-la-Chapelle ; nous traversons une histoire d’amour qui ne semble pas intéresser les amoureux eux-mêmes. En bref : nous sentons sur notre peau le présage de la banalité et nous sommes étonnés de voir à quel point elle peut être imprévue, fascinante, voire étonnante.
La fiction normale nous promet l’attrait de l’évasion, des heures dépouillées de la réalité et de la vie. Au contraire, Rui nous libère de la tyrannie de la fiction, de ses tromperies et de ses séductions, et nous montre qu’il n’y a pas d’endroit plus bizarre que la vie inondée de littérature que Rui dévore. »
Jorge Palinhos, écrivain
Benny Mer, Smotshé, biographie d’une rue juive de Varsovie, traduit de l’hébreu par Gilles Rozier, L’Antilope, octobre 2021, 336 p., 23.50 €
Entre les deux guerres, les Juifs représentent environ un tiers de la population de Varsovie. Benny Mer choisit de les faire revivre à travers la visite guidée d’une des rues les plus pauvres du quartier juif de la ville, la rue Smocza (Smotshè en yiddish). Pour cela, il s’est plongé dans la presse yiddish, ses annonces, les faits divers, les fragments littéraires…
Les personnages rencontrés – souvent des petites gens, tailleurs, vendeuses au marché… – sont une source essentielle pour l’auteur. Il tente alors de retrouver ce qu’ils sont devenus après 1939 et parvient parfois à retracer qui a été enfermé dans le ghetto, qui y est mort, qui y a combattu durant l’insurrection, etc.
https://www.editionsdelantilope.fr/smotshe_dans_florilettres/
POLAR
Jo Nesbø, Leur Domaine, traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier, Gallimard, septembre 2021, 640 p., 22 €
Carl et Roy ont seize et dix-sept ans lorsque la voiture de leurs parents tombe au fond d’un ravin. Roy s’installe comme mécanicien dans une station-service du bourg voisin pour subvenir à leurs besoins. Carl, aussitôt sa scolarité finie, file au Canada poursuivre ses études et tenter sa chance.
Des années plus tard, Carl revient au pays avec une trop ravissante épouse, mû par un ambitieux projet pour le modeste domaine familial : construire un hôtel spa de luxe qui fera leur fortune et celle de leur communauté, sur laquelle il compte pour financer les travaux. Mais le retour de l’enfant prodigue réveille de vieilles rancœurs et les secrets de famille remontent à la surface. Tandis que les murs du palace peinent à s’ériger, les cadavres s’amoncellent.
Leur domaine est un thriller complexe, déroutant, à l’atmosphère irrespirable, dans lequel Jo Nesbø expose avec un réalisme glaçant les rouages des rapports familiaux pervertis.
« C’est un roman lent, qui prend son temps pour instiller une ambiance étouffante, celle des huis clos familiaux gorgés de lourds secrets. (…) Avec une certaine dose de cynisme, Jo Nesbo dresse, au bout du compte, un portrait acide des valeurs familiales et surtout de l’amour fraternel. »
Le Monde, 30 septembre 2021
HISTOIRE
Johann Chapoutot, Le grand récit, introduction à l’histoire de notre temps, PUF, septembre 2021, 384 p., 15 €
La « quête de sens » est devenue un commerce de « psys » et de « coachs ». C’était jadis l’affaire de théologiens, qui cherchaient la main de Dieu dans l’Histoire. Entre les Lumières (XVIIIesiècle) et la Grande Guerre (début du XXe), le théologique a cédé la place au politique : dans l’Occident du « désenchantement » (Max Weber) et du retrait de Dieu, on chercha le sens dans ces « religions séculières » (Raymond Aron) que furent le communisme, le fascisme et le nazisme, mais aussi le libéralisme et ses avatars (ultra-, néo-…) ainsi que, toujours plus couru semble-t-il, le complotisme, depuis que les « grands récits » (Jean-François Lyotard) sont entrés en déshérence.
Chercher le sens est également une manie d’historien — le sens des actes commis par les acteurs d’une époque, expressions d’une « vision du monde » propre à un temps, à un lieu, à un groupe humain (classe, race, nation, ou unité de police, corps de fonctionnaires, ordre religieux), qui légalise, légitime et justifie parfois le pire.
Introduction à l’histoire des XXeet XXIe siècles, ce livre expose les « récits du temps » (François Hartog) qui donnent sens, substance et consistance aux individus déterminés à vivre et faire l’histoire, et présente une manière de faire del’histoire attentive aux univers mentaux et aux bonnes raisons que l’on avance toujours pour faire et défaire. Car l’histoire, au-delà de la discipline ou de la science, est un art de lire et de vivre le temps, un art littéraire sensible au cœur et à la raison.
https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-29-septembre-2021
ESSAI
Marie Cosnay, Des Îles (Lesbos 2020 – Canaries 2021), édition de l’Ogre, octobre 2021, 296 p., 21 €
Que fait la politique d’immigration européenne aux liens, aux familles et aux corps ? Comment en rendre compte ? Que faire de la question des disparus ? L’Europe est pleine de fantômes, et c’est à partir d’eux et pour eux que Marie Cosnay mène, depuis des années, un travail de terrain, et collecte la parole et les histoires des exilés.
Avec Des îles, Marie Cosnay se saisit de ce matériau rare pour tisser une réflexion magistrale autour des acteurs de la migration, avec un infini respect pour leur parole, leur capacité d’agir, et leur dignité.
Premier volume d’une série d’ouvrages consacrés à une histoire orale de l’exil vers l’Europe, entre enquête de terrain et récit documentaire, Des îles est une œuvre d’une force politique et littéraire saisissante.
Marie Cosnay, dont l’œuvre est tout entière traversée par les notions de frontières et d’enquêtes, mène depuis de nombreuses années une activité militante : elle accueille et accompagne les exilés qui passent par la frontière basque. Depuis 2020, Marie Cosnay reçoit de plus en plus d’appels liés à des disparitions ; des familles cherchent leurs proches partis sur la route, dont elles ont perdu la trace. Cette récente évolution a profondément bouleversé la nature de son travail sur le terrain et du livre que vous tenez entre les mains.
Léonora Miano, L’autre Langue des femmes, Grasset, septembre 2021, 256 p., 20.90 €
« L’ “autre” langue des femmes, c’est la parole qui émerge lorsqu’elles se définissent pour ce qu’elles sont, pas en fonction de ce qui leur est infligé.
Ce langage fut toujours parlé en Afrique, continent qui enfanta des dynasties de “grandes royales”, contredisant ainsi la posture victimaire d’un certain activisme occidental.
S’appuyant sur l’histoire, les mythes, spiritualités et pratiques sociales des Subsahariennes, l’auteur nous initie à un riche matrimoine qui révèle la variété des potentialités féminines.
Les femmes impressionnantes dont elle nous conte les aventures régnèrent sur des sociétés patriarcales, donnèrent une terre à leur peuple en exil, firent du plaisir sexuel un droit, s’engagèrent dans les luttes anticoloniales qu’elles financèrent souvent grâce à leur fortune personnelle, furent conscientes de leur valeur en tant qu’individus souverains.
Pourtant, la riche expérience des Africaines subsahariennes reste méconnue. Sans s’identifier à ces femmes ni voir en elles des références, on entend leur prescrire un modèle d’émancipation.
La “sororité” reste une vue de l’esprit, compte tenu des rapports de domination existant entre femmes. L’histoire a doté les unes d’un pouvoir symbolique, politique et économique dont les autres ne jouissent pas. Cette dissymétrie fondamentale est occultée par la centralité conférée à la question de l’hégémonie masculine, censée définir et fédérer les femmes.
Des rapports entre elles, reproduisant l’association de la cavalière et de la jument, permettent-ils de faire cause commune ? »
« Je m’intéresse à ce qui manque : la conversation entre femmes, c’est-à-dire la légitimation de l’expérience de toutes. Le recours au féminisme pour qualifier les vécus féminins à travers le monde témoigne d’une incapacité à nommer sa propre réalité, à élaborer pour soi-même des concepts et à les faire valoir dans la conversation avec les autres. Cette conversation entre femmes du monde permettrait de créer des solidarités respectueuses des spécificités historiques et identitaires. »
Extrait de l’entretien à Télérama, 27 septembre 2021
Georges Didi-Huberman, Imaginer, recommencer, Ce qui nous soulève, tome 2, Éditions de Minuit, octobre 2021, 832 p., 28 €
De quoi procèdent nos gestes de soulèvement ? D’une certaine puissance à en finir avec quelque chose. Mais, aussi, à imaginer que quelque chose d’autre est en train de recommencer. Ce livre propose les éléments d’une anthropologie de l’imagination politique dont on s’apercevra, très vite, qu’elle ne va pas sans une philosophie du temps et de l’histoire.
À la structure tous azimuts du premier volume de cette enquête, répond ici un propos concentré sur le moment politique, intellectuel et artistique lié au soulèvement spartakiste de 1918-1919 en Allemagne. Que se passe-t-il lorsqu’une révolution, ayant chez beaucoup fait lever l’espoir, se trouve écrasée dans le sang ? Que reste-t-il de cet espoir ? On découvre qu’à partir du Malgré tout ! lancé par Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg à la veille de leur assassinat, c’est toute la pensée moderne du temps et de l’histoire qui se sera trouvée remise en chantier, « recommencée » : notamment par Ernst Bloch et Walter Benjamin, les deux personnages principaux de ce livre (qui s’opposèrent à la pensée du temps mise en place, à la même époque, par Martin Heidegger).
C’est toute une constellation qui gravite ici autour de Bloch et de Benjamin. Elle compte des penseurs tels que Hannah Arendt ou Theodor Adorno, Martin Buber ou Gershom Scholem ; mais aussi des écrivains tels que Franz Kafka ou Kurt Tucholsky ; des dramaturges tels que Bertolt Brecht ou Erwin Piscator ; des artistes visuels tels que George Grosz ou John Heartfield, Käthe Kollwitz ou Willy Römer.
La leçon que nous proposent ces survivants d’une « révolution trahie » est considérable. Elle innerve toute la pensée contemporaine à travers le prisme de l’imagination politique. Elle nous incite à repenser l’utopie à l’aune d’un certain rapport entre désir et mémoire : ce que Bloch nommait des images-désirs et Benjamin des images dialectiques. Elle nous aide, ce faisant, à ouvrir la porte et à faire le pas.
https://www.franceculture.fr/emissions/lart-est-la-matiere/ce-qui-nous-souleve
PHILOSOPHIE
Bruno Clément, Henri Bergson, Prix Nobel de littérature, Verdier, octobre 2021, 320 p., 19.50 €
Des premières lignes qu’il ait écrites aux toutes dernières, Bergson milite avec une constance remarquable, quoique rarement commentée, pour l’invention d’un nouveau mode d’expression en philosophie. Un mode qui, sans renier le langage ordinaire, s’emploie à le faire fonctionner autrement.
Le philosophe, écrit-il, doit œuvrer « dans le même sens que l’art ».
Prendre au sérieux cette résolution, ce n’est pas seulement rendre à Bergson une élémentaire justice – le lire en somme comme un écrivain –, c’est aussi décider de voir dans la philosophie un genre littéraire parmi d’autres, et qui comme les autres fait aux images, aux figures, à la fiction, aux créatures imaginaires même – les fantômes par exemple – une place qu’on aurait tort de dire anecdotique.
C’est enfin inviter à une manière inédite d’enseigner la philosophie – et pas seulement celle de Bergson.
BEAU LIVRE
Ella Maillart, Regards sur Chandolin, Zoé, octobre 2021, 168 p., 22 €
Juché à près de 2000 mètres dans les Alpes valaisannes, Chandolin devient la patrie d’élection d’Ella Maillart dès 1946, jusqu’à sa mort un demi-siècle plus tard.
Les photographies rassemblées ici témoignent du regard émerveillé que l’exploratrice a posé au fil des décennies sur le village et ses habitants, sa vie religieuse et communautaire menacée par l’arrivée de la modernité. À travers des textes qui accompagnent ces images vibrantes, Ella Maillart raconte la construction de la route qui dès 1959 relie Chandolin à la vallée, déplore l’invasion des touristes, péril pour l’équilibre alpin, magnifie la montagne, sublime et dangereuse.
Ella Maillart ou la vie immédiate, texte hommage de Nicolas Bouvier, complète ce corpus, préfacé par Pierre-François Mettan, qui contextualise l’installation et la vie d’Ella à Chandolin, tandis que la postface de Jérôme Meizoz nuance le regard nostalgique de la photographe en révélant son arrière-plan: l’existence rude, le dénuement extrême de ces paysans montagnards.
REVUE
Collectif, 180°C Des raisins et des hommes, spécial vin 2021, 180°C, septembre 2021, 192 p., 21 €
180°C Spécial vins, la nouvelle mouture de la revue 12°5!
Si notre jajazine change de nom pour rejoindre la galaxie 180°C, la signature, elle, reste la même : «des raisins et des hommes», ou la promesse de faire voyager simples profanes et amateurs endurcis autour de cette vinosphère engagée, celle qui défend les vins vivants, 100% pur jus. Désormais annuel, ce spécial vins, enrichi de 16 pages, se veut une production qui prend le temps. Le temps de la découverte, de la rencontre, de l’échange, du partage.
Au menu entre autres de ce millésime 2021, un petit tour en Gironde à la découverte du domaine Château Le Puy, un tour de vignes qui met à l’honneur la Savoie et ses vignerons nouvelle génération. Une rencontre avec les frères Soulier dont le projet viticole s’articule autour de la quête et de l’héritage. Une balade entre les rangs d’un domaine d’exception, celui de Château Rayas, puis on vous brosse le portrait du colosse alsacien, Olivier Humbrecht… Mais aussi une pétillante sélection de vins en vue des fêtes de fin d’année, une cave à manger bien remplie avec du Morbier, du pâté croûte, des rillettes de maquereau… Et bien d’autres choses encore à découvrir au fil de ces 192 pages.
LIVRES DE POCHE
Toni Morrison, La Source de l’amour propre, traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Laferriere, 10/18, septembre 2021, 528 p., 9.10 €
La Source de l’amour-propre réunit une quarantaine de textes écrits par Toni Morrison au cours des dernières décennies et qui, chacun à sa façon, attestent de sa généreuse intelligence. Elle s’implique, débat, ou analyse des thèmes aussi variés que le rôle de l’artiste dans la société, la question de l’imagination en littérature, la présence des Afro-Américains dans la culture américaine ou encore les pouvoirs du langage.
On retrouve dans ces essais ce qui fait également la puissance de ses romans : l’examen des dynamiques raciales et sociales, sa grande empathie, et son pragmatisme politique. Toni Morrison s’interroge : « Comment faire en sorte que personne ne soit plus perçu comme un étranger en son propre pays ? ». Elle s’emploie, pour répondre à cette question, à rendre hommage à ses prédécesseurs : James Baldwin, Martin Luther King, ou plusieurs peintres noirs qui, tous, ont théorisé ou incarnés les tiraillements identitaires de l’Amérique.
La Source de l’amour-propre est à la fois une porte d’entrée dans l’œuvre de Toni Morrison et une somme où se donne à lire l’acuité combative de son autrice. C’est aussi, dans un style dont la vigueur ne cesse de nous éblouir, un puissant appel à l’action, au rêve, à l’espoir.
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/10/22/toni-morrison-posthume/
Anne Pauly, Avant que j’oublie, Verdier, octobre 2021, 192 p., 8.50 €
Il y a d’un côté le colosse unijambiste et alcoolique, et tout ce qui va avec : violence conjugale, comportement irrationnel, tragi-comédie du quotidien, un « gros déglingo », dit sa fille, un vrai punk avant l’heure. Il y a de l’autre le lecteur autodidacte de spiritualité orientale, à la sensibilité artistique empêchée, déposant chaque soir un tendre baiser sur le portrait pixelisé de feue son épouse ; mon père, dit sa fille, qu’elle seule semble voir sous les apparences du premier. Il y a enfin une maison, à Carrières-sous-Poissy et un monde anciennement rural et ouvrier.
De cette maison, il va bien falloir faire quelque chose à la mort de ce père Janus, colosse fragile à double face. Capharnaüm invraisemblable, caverne d’Ali-Baba, la maison délabrée devient un réseau infini de signes et de souvenirs pour sa fille qui décide de trier méthodiquement ses affaires. Que disent d’un père ces recueils de haïkus, auxquels des feuilles d’érable ou de papier hygiénique font office de marque-page ? Même elle, sa fille, la narratrice, peine à déceler une cohérence dans ce chaos. Et puis, un jour, comme venue du passé, et parlant d’outre-tombe, une lettre arrive, qui dit toute la vérité sur ce père aimé auquel, malgré la distance sociale, sa fille ressemble tant.
Cet ouvrage a reçu le prix du Livre Inter 2020, le prix Summer 2020, le prix Robert-Walser 2020, le prix Pauline-de-Siminane 2020, le prix Envoyé par la Poste 2019 et le prix À livre ou verre des librairies Mémoire 7 à Clamart et Le Point de coté à Suresnes.
https://editions-verdier.fr/2021/09/30/lobs-30-septembre-2021-par-elisabeth-philippe/
Barbara Stiegler, Nietzsche et la vie, Une nouvelle histoire de la philosophie, Gallimard, octobre 2021, 448 p., 8.60 €
Avec Nietzsche s’inaugure une philosophie nouvelle, centrée dorénavant sur le corps et la vie, qui appelle une nouvelle histoire de la philosophie. En parcourant les grandes étapes de cette histoire, Barbara Stiegler introduit le lecteur aux philosophies de Descartes, Kant, Schopenhauer, Hegel et Marx, ainsi qu’à quelques grandes figures de la philosophie contemporaine, proches ou héritières de cette nouvelle philosophie de la vie : William James, John Dewey, Bergson, Canguilhem et Foucault, sans oublier le contrepoint critique de la phénoménologie, de Husserl à Heidegger.
Parce que le fil conducteur de cette nouvelle histoire suit la réalité concrète du corps et de la vie, son livre est aussi une introduction à l’histoire de la biologie, de la physiologie à la théorie de l’évolution, et jusqu’aux débats les plus brûlants de la biologie et des sciences médicales contemporaines.
À la lumière de ce parcours, la philosophie de Nietzsche ne peut plus apparaître comme une météorite solitaire et fulgurante. Elle se situe bien plutôt au beau milieu d’un tournant : celui à partir duquel, sur fond de fin de la métaphysique et de crise des savoirs, le gouvernement de la vie et des vivants doit devenir l’affaire de tous, nous obligeant à repenser de fond en comble les notions de « réalité » et de « vérité » en même temps que la valeur des énoncés produits par la science.
BANDES DESSINÉES
Nicolas de Crécy, Visa Transit, Tome 3, Gallimard BD, septembre 2021, 152 p., 23 €
Fin juillet 1986. Après avoir traversé l’Italie, la Yougoslavie, la Bulgarie et découvert Istanbul, Nicolas de Crecy et son cousin poursuivent l’aventure à bord de leur vieille Citroën Visa… Jusqu’à un village anatolien, « eden perdu », qui marque l’aboutissement de leur périple.
Dans un tome plus sombre mais non dénué d’humour, l’auteur nous livre la dernière partie de son odyssée intime. Il raconte la découverte d’un mal qui ne dit pas son nom, l’angoisse de la décrépitude, l’errance médicale… convoque ses souvenirs d’enfance et interroge par là-même les fascinants ressorts de la mémoire.
https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/dans-latelier-de-nicolas-de-crecy
Anne-Caroline Pandolfo, Terkel Risbjerg, Sousbrouillard, Dargaud, septembre 2021, 200 p., 25 €
(…) Sara, en quête de son passé, laisse derrière elle sa vie parisienne sans histoire. Elle se rend à Sousbrouillard, village un peu hors du temps, construit autour d’un lac sombre et mystérieux. Les habitants de Sousbrouillard lui racontent leurs propres parcours, « cabossés et rocambolesques », hauts en couleurs, tristes et émouvants.
Derrière son apparente réalité, Sousbrouillard glisse peu à peu vers le conte philosophique et la fable poétique. L’album met en lumière notre besoin de faire partie d’une histoire, ainsi que l’importance de ces rencontres qui changent parfois le cours d’une vie.
https://www.etonnants-voyageurs.com/PANDOLFO-Anne-Caroline.html
Joseph Kai, L’Intranquille, Casterman, septembre 2021, 168 p., 20 €
« Je me demande comment auraient été nos corps et nos sentiments sans la menace et la peur »
Beyrouth, 30 ans après la fin de la guerre civile et quelques mois avant la catastrophe d’août 2020, Samar, jeune auteur de bande dessinée, entame un nouveau projet dont il peine à imaginer la suite.
Entre rêves angoissés, souvenirs d’enfance, expériences amoureuses et déambulations dans le Beyrouth des artistes et des milieux queer, il raconte ses difficultés à vivre dans un contexte incertain qui le plonge dans un état d’appréhension permanente. À travers son regard anxieux, c’est le regard de toute une communauté que l’on suit dans une ville aux couleurs et aux humeurs changeantes.
JEUNESSE
Marion Kadi, Les reflets d’Hariett, Agrume, août 2021, 48 p., 16 €
À partir de 4 ans
La rencontre entre une petite fille timide et le reflet d’un lion facétieux. Dans la savane, un vieux lion meurt. Son reflet se retrouve seul, et comme il ne veut pas se résoudre à devenir le reflet d’une plante ou d’un canard, il part. Il arrive en ville où il rencontre Hariett, une petite fille un peu timide, et il se dit qu’il veut devenir son reflet. Et avec un lion pour reflet, Hariett se sent soudain pleine de forces.
A l’école, elle n’a pas peur de parler en classe et s’amuse terriblement. Mais le lendemain, le reflet du lion est déchaîné, il met le bazar dans l’école et c’est Hariett qui se fait punir. A la maison, elle cherche son ancien reflet et le retrouve caché dans un petit miroir. Finalement, elle se dit que le mieux est de vivre avec ses deux reflets.
« Que de pistes de rêve et de réflexion, dans ce conte aux couleurs vives, qui trépignent et chantent d’une même voix ! Marion Kadi signe là un album profond et miroitant, d’une gaieté visuelle et d’une simplicité de narration propres aux grands albums qui resteront. »
Télérama, 22 septembre 2021
Nadja, Le Jardin d’Ariane, Actes Sud, septembre 2021, 32 p., 15 €
À partir de 6 ans
Ariane joue dans son jardin avec ses figurines et son lapin Billy, quand une étrange poupée surgit un beau matin, bousculant tout cet univers. La poupée demande à Ariane de l’aider à retrouver son chemin, et tous les personnages vont se joindre à cette quête pour
la sauver.
Nadja est née en 1955 à Alexandrie en Égypte, d’une mère peintre de parents russes et d’un père médecin d’origine libanaise. En 1989, avec Chien bleu, un album aux gouaches fauves, Nadja obtient le prix Totem du Salon du livre de jeunesse de Montreuil. C’est l’entrée de la peinture dans l’album. Bien d’autres albums suivront, empreints d’un style expressionniste qui s’exprime avec force dans des peintures pleine page.