Mort d’un « copain »
Il s’appelait Gérard mais on disait « Bob ». Gérard Bobillier, 64 ans, disparu lundi des suites d’un cancer. L’une des deux ou trois plus belles figures d’éditeur de ces trente dernières années, tête de mule et tête chercheuse. L’annonce de sa mort nous rappelle que l’on ne trouva jamais personne pour en dire du mal. L’homme, il est vrai, n’était guère préoccupé de lui-même et il faisait partie de ces éditeurs en voie d’extinction dont on connaissait mieux le catalogue que la personnalité, dont l’un, au fond, était le révélateur de l’autre.
Gérard Bobillier venait d’un pays perdu, Besançon, mais aussi des terres brûlées du gauchisme, les « maos » de la Gauche prolétarienne. En 1979, il fonde à Lagrasse (Aude) les Éditions Verdier. Il y publie tout d’abord, sous l’influence (ou dans le compagnonnage) de son ami Benny Lévy, les textes fondateurs du judaïsme, et la littérature contemporaine dans ce qu’elle a de plus exigeant. La couverture jaune et l’ovale du logo de Verdier resteront associés à quelques compagnons de route, parmi lesquels Pierre Michon, Pierre Bergounioux ou François Bon, qui ont été non pas révélés par « Bob », mais autorisés à se réinventer sous la rigueur de son regard de lecteur.
Verdier, c’est aussi de grands « chocs » en littérature étrangère, italienne notamment, avec Silvio d’Arzo ou Vitaliano Trevisan, ou espagnole, avec Julio Llamazares.
Textes essentiels
Verdier, c’est encore une collection dédiée à la littérature tauromachique (dirigée par Jean-Michel Mariou), qui a offert quelques textes essentiels comme ceux d’Alain Montcouquiol ou du Bordelais François Garcia. Verdier, c’est toujours une des plus belles manifestations littéraires françaises, le Banquet du livre, qui, chaque été, réunit à Lagrasse auteurs et lecteurs comme autant de conjurés. Gérard Bobillier, se tenant d’instinct à l’écart de toute revendication excluante, eut l’élégance de ne jamais en faire un outil de communication. Évoquant son départ, son « copain » (terme qu’il aimait entre tous) Claude Chambard, dans son blog (www.unnecessairemalentendu.com), exhumait ces quelques lignes de Bob – à notre tour, laissons-lui, le dernier mot : « Éditer n’est pas une attitude, plutôt un mouvement qui suscite, porte, conjugue dans les valises d’un catalogue des fragments de toujours pour une errance infinie. »
Olivier Mony
SUD OUEST | Dimanche 11 Octobre 2009